Myriam, l’avocat du diable

Des étincelles dans les yeux, du swing dans les gestes et du rythme dans les idées, Myriam rentre dans la danse. Et change le tempo du JSP.

terre

Je craque immédiatement sur ce conseil-en-communication-stratégique-management commercial & rélations-publiques qui déborde d’énergie et de goût du défi.
Mais ce qui me séduit davantage, c’est son implacable esprit cartésien qui nous rend parfaitement complémentaires. Entre deux éclats de rire et trois remarques pertinentes, Myriam titille mes neurones en me poussant à poser un regard plus pragmatique sur le JSP.

Elle démarre avec un large sourire J’adore ton projet. Il est bien mûri, se base sur une véritable analyse du paysage actuel, prend en compte l’éthique et la citoyenneté, encourage la responsabilité sociale des entreprises et s’ouvre sur une action créative et culottée. C’est une secousse inattendue, un électrochoc positif dans ce monde endormi. Mais comment penses-tu concrétiser l’action?

Devant mon expression interrogative, Myriam clarifie le fond de sa pensée :Pour rendre viable le JSP, il faut y ajouter du concret. Je m’explique, tu vas commencer à contacter des Annonceurs et des Partenaires. Ton dossier actuel te sera très utile pour faire une sélection naturelle : seuls les visionnaires, ceux qui ont un esprit ouvert et qui partagent certaines valeurs vont adhérer à ton projet. Donc, disons que sur 100 contacts, tu pourras décrocher une quinzaine de rendez-vous.

Myriam continue « Si tu veux que ton idée ne reste pas dans le domaine de l’utopique, tu devras y ajouter un volet «opérationnel ». Tu n’es pas sans savoir qu’en t’adressant aux grandes entreprises tu rencontreras les DirCom, qui, eux, ont de comptes à rendre au patrons. Prépare-toi à des résistances de leur part :

1. Tu tombes dans une période de psychose, où le mot d’ordre est : prise de risque zéro. Ton projet n’a pas d’antécédents, donc aucun paramètre pour calculer son taux de réussite. Le risque n’est pas à l’ordre du jour, ton projet peut les effrayer.

2. Ta stratégie est très subtile et ton action au deuxième dégrée, donc pas à la portée de tout le monde. Imaginons que tu tombes sur des gens brillantissimes qui y adhérent intellectuellement. Ce n’est pas parce qu’ils trouvent l’idée séduisante qu’ils auront le courage d’y participer.

3. Ton action sort des schémas conventionnels et pose un regard complètement différent sur la pub. Tu leur dis qu’il existe des valeurs plus profondes, comme la confiance, la complicité, l’écoute, l’éthique. Tu leur demandes de raisonner autrement. Il y a de quoi bouleverser leurs acquis. Personne n’aime qu’on remette en question des certitudes. Souviens-toi d’un de tes compatriotes, un certain Galilée…

4. Le JSP prépare l’avenir. Les résultats seront durables, mais pas immédiats. En France, dans n’importe quel domaine, on réfléchit à court terme. Tes interlocuteurs ne sont pas habitués à se projeter dans le futur. Dans le meilleur des cas, ton projet va les dérouter, dans le pire, ils vont le rejeter.

5. Tu vas leur présenter de la création sans création. Même s’ils sont habitués aux idées originales et à l’impertinence, tu vas les déstabiliser en posant un regard neuf qui va bousculer leurs habitudes et leurs références. Dépenser de l’argent sans montrer leur logo ? Du jamais vu. Un choix inattendu et inimaginable à laquelle personne n’est préparée.

6. Le métier de DirCom est d’investir au mieux un budget prédéterminé. D’abord, ont-ils un budget à consacrer au JSP ? Dans le cas affirmatif, même s’ils travaillent pour des marques qui ont intégré l’éthique, voudront-ils investir dans l’éthique ?

7. Tu leur proposes le regain de confiance. Le DirCom parle de retour sur investissement. Tu mets en avant des valeurs abstraites comme proximité, échange, transparence, connivence, éthique, citoyenneté. Lui, il parle de rentabilité. Tu parles consommateur, ils parlent Marque. Tu ne lui proposes rien qu’il puisse quantifier, aucune perspective strictement financière. Vous aurez beaucoup de mal à vous comprendre.« 

Mon moral est déjà descendu dans les chaussettes. Ma prévision de 10% de RV tombe d’un cran à chacun de ses arguments. À ce moment, j’en suis à 3%. Si Myriam continue, ça va descendre en dessous de zéro. De quoi geler le JSP.

Je résume : Moment mal choisi, démarche pas à la portée de tout le monde, interlocuteurs frileux, bouleversement des acquis, résultats tangibles à long terme, approche inhabituelle, retombées et retour sur investissement non quantifiables et impossibilité de dialogue. Il est évident que, vu sous cet angle, le JSP n’a pas la moindre chance d’aboutir. En gros, je prends mes rêves pour des réalités.

Myriam éclate de rire : Mais pas du tout ! Parce que c’est toi qui a raison. Ton idée est forte et inattendue, positive et constructive, c’est exactement ce qu’il faut pour changer les rapports entre Annonceur et consommateur et pour préparer un futur meilleur. Les petits changements craintifs ne font pas avancer les choses. Dans cette action, tout le monde est gagnant : le consommateur, l’annonceur, la pub. Elle a un seul défaut : elle est nouvelle. Comme disait Schopenhauer « Toute vérité passe par trois étapes : D’abord, elle est ridiculisée, ensuite elle est violemment combattue, et, pour finir, elle est acceptée comme absolument évidente. »

Tu en es à la première étape. Tu vas y arriver, mais pour cela, et c’est là où je veux en venir, il faut mettre toutes les chances de ton côté. Tu dois préparer un deuxième volet avec des actions concrètes en utilisant les mots qui leur parlent : investissement, retombés, visibilité, image… Pose-toi les mêmes questions qu’ils vont se poser et te poser.

La première sera :« Combien ça va me coûter ? Tu dois chiffrer l’action et arriver avec un package, un forfait clefs en main pour leur simplifier la vie.

Tu devras répondre aussi à : quelle visibilité aura ma marque ? Quelles seront les retombées ? Plus précisément, comment les consommateurs sauront que c’est moi qui leur offre un jour sans pub ? C’est la condition « sine qua non » pour qu’ils puissent s’intéresser à l’événement. En conséquence : Comment comptes-tu donner de la visibilité aux Annonceurs citoyens ? Y aura-t-il des opérations RP qui accompagneront l’événement ? Et des actions événementielles ? Si oui, lesquelles ? Quels sont les médias qui relieront ton opération ?

Autre point capital : Tu veux donner une journée d’oxygène au consommateur. Mais si la couverture est faible, elle ne pourra pas leur offrir le moment de respiration tant attendu. Si elle est trop importante, elle coûtera trop chère. Comment penses-tu t’en sortir ? Tu as prévu de couvrir tout Paris, toute la France, ou bien, tu veux faire une opération symbolique, concentrée sur un périmètre limité ? Dans ce cas, lequel ?

Tu veux donner la parole aux consommateurs, c’est le principe même du JSP. Par quels moyens ? Et comment penses-tu mettre en relation marques et consommateurs ?

La France compte environ 26 millions d’internautes, presque la moitié de la population française. Comment envisages-tu d’être présente ? sur la toile? Et de quelle manière vas-tu créer de l’interactivité?

Et pour finir : As-tu établi une liste d’Annonceurs à contacter ? Quels sont les critères du choix ? As-tu des commerciaux rompus à la prospection ? Qui va faire le suivi qualité des affiches et négocier les prix avec les fournisseurs ? As-tu prévu un logo pour donner un symbole à cette journée ?…

Je commence à avoir le tournis. Oui, je me suis déjà posé une très bonne partie des questions et j’ai déjà quelques réponses. Mais je n’ai pas encore établi toutes les règles, ni fait de choix précis, point par point. Je réalise que, pour tout bétonner, il y a encore du chemin à faire. Et que je ne pourrais jamais tenir ma date butoir. Ce projet est un monstre aux mille tentacules. Dès qu’on se débarrasse d’une, il agite les autres. Mais, voyez-vous, quand je me trouve au bord du ravin, je me sens pousser des ailes.

POST IT : J’ai découvert deux blogs intéressants que je voudrais vous faire partager. A ma grande surprise, j’ai vu qu’ils parlent du JSP.
Promenez-vous sur le blog de Thierry Maillet, brillant journaliste au Nouvel Economiste, professeur et auteur de Génération P.
Et sur celui de Cyril Chaudoit qui traite de pub, buzz, marketing d’influence et blogosphère avec ses coups de cœur, ses coups de gueule et ses coups de blues.

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12 réflexions au sujet de “Myriam, l’avocat du diable”

  1. Comment se débarrasser d’un monstre aux mille tentacules ?
    Réponse : en lui foudroyant le cœur !

    Le projet du JSP semble se débattre dans tous les sens, il a des doutes, des peurs et des crampes d’estomac qui le tétanisent.
    Et pourtant, le projet est vraiment très intelligent et beaucoup d’efforts y sont consacrés pour le faire vivre.

    La Raison et la Volonté… vous avez là deux grand atouts pour faire des campagnes grandioses, mais cela ne suffit pas pour donner réalité à un projet aussi follement rassembleur qu’un Jours Sans Pub.
    Il lui manque un troisième ingrédient essentiel, je dirai même vital… “le Cœur”.
    C’est cette chose qui à ses raison que la raison ne connaît point, qui retourne l’inertie en changement et qui peut tout transformer, même les dircoms les plus malicieux et les annonceurs les moins courageux.

    Restés pragmatiques et persévérants sans relâche, mais surtout n’oubliez pas le feu en vous qui vous anime. Ce feu qui fera dire aux annonceurs:
    OUI quelle belle idée, je ne sais pas s’il y a quelquechose à gagner…
    mais je vous suis !

  2. Bonjour, j’ai lu une interview de Mercedes Erra, PDG de BETC. Elle dit que les consommateurs prennent du poids dans une prise de parole accrue via le média Internet, dans les sites d’avis, les forums et les blogs. Elle appelle ce phenomène "la République des Consommateurs" . Les annonceurs ont tout intérêt à étudier ce qui se dit d’eux, et plus globalement ce qui se passe, sur Internet afin de gérer au mieux ce virage comportemental. Etant donné le succès de votre blog, ils ne peuvent plus ignorer le JSP. Perséverez !!!!

  3. Moi, Julien Rollet, citoyen français et faisant parti de la Republique des consommateurs, je dis OUI au Jour Sans Pub et NON aux annonceurs trouillards, avides et indifférents. 😉 Consommateurs, le moment de s’exprimer est arrivé : votons pour le JSP !:)

  4. Post sur le blog : http://www.thierrymaillet.eu/

    Un Jour sans pub, mais pas sans succès

    Une Directrice de Création Publicitaire, Babette Auvray-Pagnozzi, a décidé de promouvoir un Jour sans Pub en France.
    En voulant souligner la place de la publicité dans la société française, sa démarche a rencontré une réelle audience qui se note au succès de son blog.
    Il serait juste que Babette Auvray-Pagnozzi soit récompensé de ses efforts car quelle meilleure façon de lancer le débat que de se priver de publicité une journée.

    Vous pouvez retrouver le blog dans mes favoris : JSP blog Une volonté d’insister sur le rôle et la place de la publicité dans la société française. Une démarche innovante pour un nécessaire débat.

  5. Les dircom, que je côtoie très souvent, sont en complet décalage avec le monde actuel. Ils n’ont pas compris que le consommateur a changé.
    Ils devraient aller voir du côté des blogueurs qui sont les acteurs et les rassembleurs actuels. ils découvriraient vite qu’aujourd’hui il y a une nouvelle manière de s’assembler et de s’exprimer.
    Ils mettent encore le consommateur dans des cases et dans des tribus convenues. Ils vantent les qualités ou l’image de leurs produits, tandis que le consommateur est sensibles à l’éthique de l’entreprise et au sens qu’elle donne à l’achat. Les dircom et, par conséquent, les marques n’ont pas intégré que le monde a changé et que pour séduire le consommateur, il faut privilégier le contact et les valeurs plutôt que les profits à court terme.

  6. Je suis annonceur et je viens de découvrir vos propositions.
    L’idée d’ouvrir le dialogue avec le consommateur à fin de reconstruire la confiance est digne de considération.
    Pourtant, soyons honnêtes, le jour sans pub reste un énorme coup de pub qui profite à nous, les annonceurs. Le relais dans les médias ne pourra que mettre en vedette les entreprises qui y participeront.
    Une perspective intéressante, mais qui risque d’offusquer le consommateur qui pourrait se sentir berné et voir cette action comme une stratégie machiavélique de la marque. Cet événement risquerait ainsi de se retourner contre l’annonceur qui y participe.

  7. Cool ! Ca fait plaisir de voir qu’un annonceurs ose s’exprimer publiquement.
    Je peux répondre à votre question puisque je suis un consommateur.
    Les annonceurs y trouvent leur compte ? Tant mieux. Du moment que nous aussi, nous avons tout à gagner et à condition que cette journée ne se limite pas à un coup.
    Pourquoi ne pas faire un jour sans pub, une fois par an, à la même date pour voir si les annonceurs ont tenu leurs engagements ?

  8. Je suis étudiante en communication pour travailler en agence de publicité. Et je me pose une grande question : y a -il une éthique dans le métier de Directeur Conseil, stratège publicitaire? Ou comment l’encourager? Vous vous en doutez je veux me convaincre (difficilement ) que oui. Pouvez-vous m’apporter votre opinion, qui enrichira ma réflexion.

  9. Votre question est légitime et pourrait déclencher un long débat, d’ailleurs bien passionnant. Je ne détiens pas le savoir, donc je vous donne mon point de vue, de manière instictive, en espérant qu’il provoque les réactions de la part de mes lecteurs. La première question que je me pose c’est : y a-t-il une éthique dans le métier de comptable, journaliste, ingénieur, professeur, bref, dans les professions en général ?
    Je pense qu’en dehors des métiers humanitaires, toute profession peut être éthique ou non selon sa manière de l’exercer. Un comptable qui blanchit l’argent, un journaliste complaisant avec un politicien, etc.…peuvent donner un angle noir au métier.
    C’est à chacun de mettre de l’éthique dans ce qu’il fait, bien entendu, dans les limites du possible.
    Dans votre cas spécifique, par exemple, vous pouvez prendre en compte votre responsabilité vis-à-vis des consommateurs et éviter à tout prix de véhiculer des messages mensongers, abusifs, sexistes… Vous pouvez aussi guider votre stratégie publicitaire dans le sens du développement durable, fuir la recherche du profit à tout prix, mobiliser les entreprises vers une attitude responsable et citoyenne, communiquer en restant honnête et transparent, veiller à la véridicité de votre message…Je pense, qu’on peut faire avancer les choses dans le bon sens de l’intérieur, en mettant sa propre éthique dans un métier que certains diabolisent, plutôt que de rester à l’extérieur et de le critiquer.
    Ceci dit, il y a des métiers éthiques où on ne risque jamais de faire des concessions.

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