Pierre de Bonneville transforme un écrivain en marque

Difficile d’imaginer Céline comme une marque. Pas la griffe du sellier haut de gamme, mais Louis Ferdinand Destouches, dit Céline, écrivain fabuleux ou grand salaud, selon les points de vue.

Pourtant c’est bien ce qu’affirme Pierre de Bonneville, brillant fondateur de l’agence De Bonneville Orlandini. Car cet obsédé de la création, développeur du concept de la marque légende, est aussi un théoricien de l’art doublé d’un célinien pur porc !

Dans son ouvrage, Céline et les femmes, Pierre de Bonneville – qui ressemble bien plus à un loup de mer qu’à un patron d’agence – aborde les facettes méconnues de l’infréquentable Céline. Entre analyses psychanalytiques, études littéraires et anecdotes de boudoir, il s’interroge sur le rapport que Céline avait aux femmes, à ses parents et au monde. Dans une démonstration passionnante, l’auteur sonde les obsessions céliniennes – de la cuisse féminine à la guerre – et parvient à rendre à cet « épouvantail » toute son humanité.

Votre Métier, c’est le désir. Écrire sur Céline, qui était anti-tout, est-ce pour vous un moyen de faire un pied de nez à la pub ?
Céline a fait de la pub aussi. Des argu’, des notices pour des labos pharmaceutiques…  Pour moi, Céline est une marque internationale dont la valeur ajoutée donne à la marque “littérature française” une plus value supérieure à Chanel ou Vuitton et qui durera plus.
La littérature internationale lui rend hommage, à commencer par Henry Miller totalement sous influence et que Céline méprisait en tant que plagiaire, et – plus proche de nous – Charles Bukowski merveilleux conteur et excellent continuateur d’une certaine façon, made in US.

N’essayez vous pas de réaliser votre plus grande campagne de pub : nous faire aimer un épouvantail ?
Céline et les femmes, c’est juste le livre que personne n’a osé écrire jusqu’à maintenant, le monde célinien est bien trop respectueux et trop universitaire. Ça tourne en rond, ça se mord la queue, on étudie et réétudie éternellement les mêmes trucs, et ça en devient pénible et stérile. Mon ambition est simple et saine : c’est de rapprocher deux thématiques dont je me sens proche : un mec, Céline (qui n’est pas n’importe qui) et ses rapports avec la féminité, la femme, les femmes. C’est de la psycho. De la même façon, dans un précédent petit livre, j’avais fait le parallèle entre Villon & Céline “cinq siècles les séparent, tout les rapproche”: la réaction des céliniens ça été de dire : « mais bon sang, mais c’est bien sur, personne n’y avait pensé jusqu’à maintenant! ». Et ben, voilà…
Et quand j’ai sorti en 2013, Et Céline créa Célinesur l’idée (très publicitaire) de l’homme-écrivain qui se forge un personnage, qui se crée la marque Céline à travers plusieurs étapes… Eh bien, les gens, ont dit “ah ben oui, c’est vrai, on le pensait tous, mais on l’a jamais dit »… Et quand j’ai sorti à titre confidentiel Lear Céline – qui est un gros jeu de mot sur le roi Lear de Shakespeare et Céline, en tant que personnage de théâtre qui se saborde lui-même – les trois ou quatre lecteurs de ce recueil d’interviews ont dit : “ah ben oui, c’est pas mal” et ils ont pensé : zut alors pourquoi on a pas eu l’idée avant et pourquoi c’est ce type de la pub qui l’a eu avant nous ?51Yo3ma3-7L._SX327_BO1,204,203,200_

Comment expliquez vous que Céline soit plus étudié à l’étranger qu’en France ?
Parce que l’éducation nationale a toujours été politisée, et donc Céline a toujours été banni du Lycée, des manuels, et les universitaires ne votent pas Céline. Dans les universités américaines, ils regardent ça de plus haut, et avec moins de dogmatismes. La France a encore l’image d’un pays de culture et de littérature. Pourvu que ça dure encore un peu.

Car à travers l’évocation de ses femmes, ce n’est pas Céline-l’homme que vous décrivez mais plutôt Céline-l’enfant, n’est-pas ?
Mon cher ami, il y a l’enfant avant l’homme. Et l’enfant est plus surement dans l’homme, bien que l’homme et tous ses vices et toutes ses perversités soient naturellement déjà dans l’enfant…

Céline avouait ne pas raisonner de manière cursive, avez-vous repris cette idée pour composer la structure de votre oeuvre, dans laquelle on peut aisément picorer?
J’écris comme un publicitaire : court et condensé.

Est-ce que parler de Céline vous donne le sentiment d’être un blouson noir ? Ou bien cela relève-t-il d’un besoin plus spirituel ?
Oui, j’aime Lou Reed, j’aime Céline, j’aime les êtres d’exception. Spiritualité, surement, spiritualité, toujours.

de-bonneville-pierreVous avez déclaré : « une personne ou une marque c’est pareil, le raisonnement psychologique est le même ». Votre livre est-il un moyen pour vous de vous démarquer ?
Je n’ai pas le souci de me démarquer, j’ai le souci de vivre ce que j’ai envie de vivre. J’ai toujours vécu ma différence, une fois que je l’ai accepté. En effet, peut-être que cela explique en grande partie pourquoi dès l’âge de 16 ans, j’ai voulu faire de la pub? “Vendre la différence contre l’indifférence”, pour faire un slogan…

On sent dans votre amour pour Céline un besoin de repousser les limites ou de rugir. Quel rapport entretenez-vous à la création? Quelles sont les conditions du génie?
Oui j’aime les choses fortes, les choses qui ont un sens fort et une valeur forte. Le reste n’existe pas. Le credo de l’agence a toujours été, depuis 1975, “la création”, avec des phrases qui tuent comme : “dans un pré, on a plus besoin de vaches que de fermiers”. Le métier de la pub, c’est les idées. Point. La création, quelle soit publicitaire, artistique, littéraire, théâtrale, le design, l’architecture, c’est la seule chose qui compte: où est l’idée? Quel sens a-t-elle? Quelle valeur défend-t-elle ?
Les conditions du génie, comme les voies du seigneur, elles sont impénétrables. L’artiste, le créateur, est un passeur de sens et d’énergie, c’est un vortex entre le monde d’en haut, le monde d’en bas. Voilà pourquoi les êtres d’exception sont des êtres de nature, de caractère. Regardez autour de vous…

Un amour pour Céline implique une profonde lucidité, donc un mépris de soi et des autres. Êtes-vous un peu misanthrope ?
On est seul, c’est plutôt ça notre vérité. Et c’est pour ça qu’on a besoin de tant d’amour, de tant de reconnaissance, de tant des autres.

Entre l’écriture et la femme (incompatibles par essence) que choisissez vous ?
Les deux, mon général ! La seconde suscite l’autre. Et la première ne fait que parler de la seconde…

N’y aurait-il pas une volonté de nous avouer, à travers Céline vos propres angoisses et vos appétits ?
J’avoue. Angoisses, appétits, frustrations…

Vous avez écrit des livres sur Paul Klee que vous considérez, au même titre que Céline, comme “ hors clan et sans chapelle (…) capable de transmettre quelque chose de l’ordre du spirituel”. Finalement, êtes-vous un vagabond idéologique ?
Il y a 3 livres sur Paul Klee : le premier, sorti en 2010 s’intitule Paul Klee, le poète et le prêtre que j’ai réédité sous le titre Vous ne connaissez pas Paul Klee. Il explique en quoi Paul Klee est un chaman comme on dit aujourd’hui. Là encore, dans le discours officiel, on évite soigneusement cette approche de la création artistique, ça fait peur aux gens… Cette réedition est  sortie en 2013 à 100 exemplaires, en vente sur Amazon.
Le second s’intitule L’art n’est pas beau, sorti en 2012, qui est une mise en rapport des œuvres de Paul Klee et d’une théorie anthropologique de l’art. On rejoint le premier.
Et le troisième est une petit bijou qui ne nous éloigne pas trop du sujet non plus : “Les chats de Paul Klee”, sorti en 2011 aussi, Klee’s Katzen. On s’amuse comme on peut.
Je ne vagabonde donc pas. Je suis une idée fixe. La création. Elle me travaille, et je la travaille.

Vous avez 40 ans de métier, à quand un livre autobiographique ?
En effet, l’agence De Bonneville Orlandini aura 40 ans le 13 décembre 2015. On s’était réunis, Michel Orlandini et moi sur le tapis du salon rue de la Bastille où j’habitais, et on a décidé de créer une agence comme tous les gens qu’on admirait l’avaient fait avant nous et où on avait travaillé : Moors & Warot, Roux, Séguéla, Lorin Leydier, Feldman Calleux, Saatchi &Saatch
Le livre que j’ai écris sur la pub développe le concept de marque légende – concept que j’avais conçu en 1984 – avec les expériences de Swatch et de NRJ qu’on venait de vivre.
J’y explique pourquoi et comment les marques deviennent fortes.

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