UN(E) TRAFIC, C’EST QUOI ? (entretien avec Ariane Nahon)

BPA : Bonjour Ariane, sais-tu quand le trafic est arrivé dans les agences de pub en France ?
Ariane : Je pense que le trafic est arrivé en France dans les années 80. Mais avant 90, on ne parlait pas trop de ce métier. Il n’y avait des trafic que dans les agences anglo-saxonnes. Dans certaines agences, il existait les productrices (chez RSCG, Ecom, etc. mais le service n’existait pas en tant que tel. La Trafic qui dans les années 90 avait la meilleure réputation était Nathalie Olivier.

BPA : Un Directeur de la Création de l’époque soutient que le trafic est un métier de filles car au démarrage c’était le rêve des secrétaires qui voulaient prendre du galon. A l’époque la pub était très machiste, un peu comme dans la série Mad Men et certaines filles étaient prêtes à coucher pour y arriver ? Légende, ou réalité ?
Ariane Ce n’est pas impossible, mais je ne voyais pas cela comme ça. Et coucher ne suffisait pas à vous transformer en trafic 😉 Les filles dans la pub étaient a des postes très opérationnels, très prod, elles étaient indispensables.

BPA : Et toi, qui n’a jamais été secrétaire, mais productrice puis responsable commerciale, comment es-tu tombée dans la marmite ? Potion magique, hasard, prédestination, passion ?
Ariane Après 15 ans comme commerciale,  je me suis rendue compte que ce qui m’intéressait le plus c’était l’organisation, la production, les relations humaines, la création. Je cherchais une nouvelle voie qui me permettrait d’évoluer, et d’avoir un poste à responsabilités.
Le Trafic n’existait pas chez RSCG à l’époque, ni dans les agences que j’avais pratiqué, mais je trouvais vraiment formidable ce rôle central qui faisait le lien entre création et commercial.

Bernard Roux, Jacques Séguéla, Alain Cayzac et Jean-Michel Goudard : Les 4 fondateurs de l’agence RSCG

BPA : Il y a eu des trafics qui t’ont inspiré au départ ?
Ariane 
Christiane Insolera, l’une des pionnières. Dès que j’ai rencontrée, je lui ai demandé de tout me raconter. Elle m’a parle de son métier et conforté dans ce choix. Cette rencontre a été très importante pour moi qui avait envie d’avoir des responsabilités, une profession qui demandait d’ l’organisation, sans être commerciale. Je me suis inspiré d’elle, j’ai enquêté et j’ai su que ce serait « ça » mon nouveau métier. J’ai eu de la chance parce que j’ai pu créer mon poste de Chef Trafic tel que je l’imaginais à ma façon d’abord chez Scher-Lafarge puis surtout chez Leo Burnett pendant 10 ans. 

BPA : Quelle a été l’agence de l’époque qui a été un exemple pour les suivantes ?
Ariane : 
BDDP c’était le modèle, il y avait DDB et Young & Rubicam aussi. Je suis même allée à Londres pour voir comment ça se passait.

BPA : On dit qu’avant ton arrivée, chez Burnett, c’était brouillon et c’était la secrétaire du Directeur de la Création qui se chargeait du job. Comment as-tu fait pour changer les choses ?
Ariane L’assistante du DC faisait ce qu’elle pouvait. Il n’y avait pas de Trafic. J’ai eu carte blanche pour monter un modèle de Trafic adapté aux besoins de l’agence. Un Trafic création pour optimiser les ressources créatives, pour faciliter les process et permettre à la création de mieux travailler. J’ai géré un service trafic qui incluait les productrices qui devenaient des trafic créa & prod, elle suivaient toute la chaine de A à Z. C’était très efficace.

Le trafic, aujourd’hui.

BPA : Dans le temps il y avaient deux catégories de chef trafic : la maman poule et la « trafficator ». Tu te positionnes où ?
Ariane : Des deux côtés. Pour moi la responsable Trafic doit être les deux. A la fois exigeante, intransigeante, mais aussi souple et à l’écoute. Il faut être capable de comprendre les problématiques de chacun, de concilier, de trouver des solutions, trancher et imposer des règles.

BPA : Ta fille est aussi trafic. Elle utilise les mêmes méthodes que toi ou elle travaille différemment ?
Ariane Elle a les mêmes bases. Mais les méthodes ont évolué. Les agences et les métiers de la com ont changé. Le trafic est plus souple, il s’adapte. Les attentes ne sont plus les mêmes. Avant le trafic était là pour organiser la créa et protéger les créatifs, maintenant on lui demande d’optimiser les ressources. Nous ne sommes plus là pour connecter les gens, pour comprendre leurs qualités, leurs affinités. Le plus important c’est la distribution des ressources. Quand je travaillais avec mon DC, c’étai un partenariat. Il y avait un échange, on me demandait mon avis. Maintenant ce qui compte c’est la rentabilité, donc de faire bosser les créatifs plus vite. 

BPA : Le digital a donc transformé la qualité en rentabilité ?
Ariane : Depuis 2010 on s’occupe moins de la qualité du travail et de la prod, on ne cherche pas forcément le meilleur, mais le rentable, le rapide, travailler plus et plus vite pour mieux servir le client. Avant les DC imposaient des choses, donnaient des règles, maintenant le fric est au cœur de tout. Avec le digital la création se compte en nombre d’heures et de jours, le but étant d’optimiser les ressources. On doit gérer les créatifs à l’heure et le trafic doit veiller à ce qu’ils bossent vite. Une agence a viré un trafic en disant qu’ils la remplacerait par un logiciel, pour économiser de l’argent. Ca ne s’est pas fait, mais ça démontre que l’argent c’est le plus grand souci.

BPA : Actuellement, beaucoup d’agences n’ont pas de trafic. A ton avis, à partir de quelle taille, une agence ne peut plus s’en passer ?
Ariane :
 Je pense qu’à partir d’une trentaine de créatifs, un Trafic est bienvenu. Mais il y a des agences qui s’en passent, ça dépend de la direction de création et de sa volonté d’imposer des process.

BPA : Tu aimes aller de l’avant, évoluer, tu as tout vu, tu as connu plein d’agences, tu as fait le tour de ton métier. Penses-tu qu’il est possible d’apporter du nouveau ?
Ariane On est obligé d’apporter du nouveau. Les agences évoluent, les besoins ne sont plus les mêmes. Avant la création avait tout pouvoir, et le trafic travaillait en binôme avec les DC. Les patrons n’attendent plus la même chose du trafic, ils souhaitent une meilleure gestion des ressources, une analyse de la rentabilité, ils veulent un trafic qui facilite la production, la réactivité et la rapidité et qui s’adapte aux demandes clients.

BPA : Tu as des projets perso pour faire avancer le métier, pour aller plus loin ?
Ariane Mon objectif aujourd’hui c’est de proposer mes services en tant que consultante. Je propose aux agences qui n’ont pas de Trafic (parce qu’elles sont trop petites ou que leur priorité n’est pas a l’engagement d’un trafic) de leur mettre des process organisationnels en place. En fait ce n’est pas parce qu’on a pas de Trafic qu’on a pas besoin d’une bonne organisation et d’avoir des méthodes de travail ad hoc pour optimiser les ressources et le fonctionnement interne. La  rentabilité et la réactivité est au cœur des problématiques des agences. Je leur propose aussi de recruter et former leur Trafic junior. D’ailleurs actuellement je suis en mission dans une agence… en indépendante, ce qui me permet de choisir des gens avec qui j’ai des affinités et qui me ressemblent.

Les questions des freelances.

BPA : Aujourd’hui le freelancing prend de l’ampleur. On demande de plus en plus de freelances et dans tous les métiers de la pub et de la com. En dehors du talent, quelles sont les plus grandes qualités que tu cherches dans un freelance ?
Ariane Créativité, Talent et disponibilité. Des créatifs concernés et impliqués. Ceci dit, dans une agence digitale on cherche plus des exécutants que des vrais créatifs.

BPA : As-tu un petit carnet secret avec une liste de freelances que tu importes avec toi d’agence en agence ?
Ariane Oui. Mais ça bouge tellement qu’il est rapidement obsolète. De plus en plus de créatifs sont en freelance et je ne les connais pas tous.

BPA : Quelle est la position du trafic entre les créatifs et les freelances ? Passe-plat ou force de proposition ?
Ariane Les deux -:) Ça dépend du DC et de la problématique. Je vérifie le brief, j’organise le process professionnel et quand je connais bien les créatifs et que je suis sure de moi je peux les imposer et les recommander. Sinon je propose et les DC choisissent. Mais je ne suis qu’un intermédiaire pour gérer le pognon, j’ai des comptes à rendre sur le budget avec une très petite marge de manœuvre pour la négo. Je reste le gardien des délais, du timing et je facilite les rapports entre commerciaux et créatifs, pour que tout se passe dans les meilleurs conditions. 

BPA : Tu rencontres régulièrement les freelances pour renouveler ton stock ou tu fais confiances aux agents, aux sites ?
Ariane Je fais confiance aux agents pour les propositions. Je pense que ce n’est pas le rôle du trafic de juger les dossiers des créatifs, c’est le rôle des DC.

BPA : Aujourd’hui on ne jure que par le digital. A ton avis, y a-t-il un avenir pour les freelances old-scool ?
Ariane : Oui et non, dans les agences généralistes oui. Mais les agences sont de plus en plus 360 et digital. Les bons créatifs « old school » qui ont su évoluer, se mettre à pas avec leur temps, qui sont capables de faire des activations et du digital c’est un plus 

BPA : Pourquoi la recherche de freelance se fait toujours dans l’urgence ? Désorganisation des agences, commerciaux à la botte du client, espoir de pouvoir se débrouiller en interne ?
Ariane Engager des frais pour des freelances c’est toujours une décision importante à prendre. On essaie toujours de gérer avec les ressources en interne. Les freelances, on les utilise souvent pour une surcharge de travail, une urgence, une compétition, c’est normal que ce soit au dernier moment même si on essaie d’anticiper. Et puis on est tributaires des validations internes.

Mini bio : 

1980 à 1993 : Productrice, chef de pub puis directrice de clientèle. 
Havas Conseil , RSCG. Budgets : Benédicta, Bic, Dior, Air France..

1994 à 2003  : Responsable Trafic Scher Lafarge, Leo Burnett  Création du Trafic-prod

2003 à 2007 : Responsable Process Manager Publicis Conseil. 
Management des productrices / création des process prod-trafic

2007 à 2017 : Responsable Trafic Young & Rubicam 
Réorganisation du service  trafic / 6 DC/ trafic création et trafic prod)

Depuis 2018 : Conseil en organisation interne et trafic, elle 
aide les agences à analyser leurs fonctionnements et 
dysfonctionnements et à mettre en place des process  organisationnels qui améliorent leur 
productivité, leur réactivité, facilite les relations entre les services, la planification des projets, pour une meilleure gestion des ressources et des achats freelance, ...
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