Si tout s’effondrait, je continuerais à planter des arbres. Mercedes Erra.

Incroyable Mercedes Erra ! Il faudrait un livre et pas une interview pour la décrire. Elle a créé la plus belle agence de pub française, qui est aussi la plus grande agence européenne et elle est à la tête d’Havas Worldwide.

Vous en connaissez beaucoup de femmes au pouvoir dans la pub ? Mercedes est un modèle unique qui ne ressemble qu’à elle-même. Battante à vocation, féministe convaincue, avec un talent à la hauteur de ses talons, aiguilles bien évidemment, c’est une tornade qui fait tout fleurir sur son passage. Elle a réinventé la fontaine de jouvence et fait du ciel un Paradis sur terre. Son exigence de travail est hors pair, et le dépassement de soi, fait partie de son quotidien.

Vous allez penser qu’elle a quelque chose à démontrer ou une revanche à prendre. Même pas ! Son but est tout simplement d’atteindre l’excellence. « Citius, Altius, Fortius », pourrait être sa devise. Pourtant, elle n’en a aucune. En revanche, elle a des convictions, qu’elle défend bec et ongles devant le Client. Oui, car Mercedes n’enrobe pas ses mots de miel et ne met aucun filtre à ses pensées. Elle est cash ! Véritable concentré de vitamine C, elle a tellement d’énergie qu’elle fatigue ses collaborateurs. Et parfois même ses enfants.

Elle n’a ni modèle, ni devise, ni remords, ni regrets, mais une manie obsessionnelle du rangement. Pas étonnant. Chez elle, tout trouve la bonne place : les idées, le travail, la famille, son équipe. La sienne ? Dans la pub, un métier qu’elle aime et qui lui va comme un gant.

La série d’interview aux grands la pub se décline, enfin, au féminin avec Mercedes Erra, fondatrice de BETC et Présidente Exécutive d’Havas Worldwide. Mercedes a choisi de me retrouver au Saint James Club, son QG, un lieu privilégié, élégant et chaleureux.

Petite fille, je voulais être… avocate.

Mon jouet préféré c’était… aucun. Je n’ai pas joué.

Jeune ado, je me prenais pour… pour moi.

Mon père (ma mère) aurait aimé que… je sois ce que je voudrais.

Je suis rentrée dans la pub parce que… j’ai fait un stage et j’ai vu que c’était un métier pour moi, ça m’a semblé évident.

J’en sortirai quand… je serai trop vieille et je n’arriverai plus à réfléchir si vite.

La veille d’une présentation importante… je répète.

Pendant les très longues réunions… je me concentre. Et j’écoute.

Dans ce métier, ce que je préfère c’est… réfléchir, avec mes équipes.

Dans ce métier, ce que je déteste c’est… ne pas pouvoir dire ce que je pense, ce qui m’arrive très rarement.

J’ai créé la plus belle agence française… parce que je me suis appliquée. Et parce qu’il y eu plein de talents, une accumulation de talents autres que les miens. Je voulais faire une très belle agence, elle est aussi devenue grande.

Le trait de caractère qui énerve mes collaborateurs c’est… l’incapacité de ne pas dire ce que je pense et aussi l’insatisfaction. Je ne trouve jamais que c’est très bien et ils sont obligés de me vendre que « ce n’est pas si mal que ça ».

Le trait de caractère qui énerve mon mari c’est… mon insatisfaction, ça l’énerve quand je me critique moi-même.

Celui qui énerve mes enfants c’est… le fait que je ne m’arrête jamais. Mon trop d’énergie les fatigue.

Entre un postulant bosseur et un autre talentueux, à mérite égal, je choisis… ni l’un ni l’autre. Je ne crois pas au talent sans le travail, je pense que ça ne veut pas dire grand-chose. Et je ne crois pas au boulot sans le talent, donc ni l’un ni l’autre.

Entre un homme et une femme, à mérite égal, j’engage… un homme parce qu’il n’y a pas assez d’hommes et que j’ai un problème de quota. J’aime beaucoup la diversité, je crois qu’il faut des hommes et des femmes, je suis pour la vraie mixité. Ca arrive si rarement qu’ils soient mieux que les femmes, donc si je tombe dessus, j’engage.

Si je devais choisir entre ma carrière et ma famille… je ne pense pas que ce choix existe, c’est rare qu’on ait à choisir, mais si je dois choisir entre une présentation très importante et m’occuper de mon enfant qui a un problème, je m’occuperai de mon enfant. Ce sont les gens qui sont prioritaires plus que les carrières.Toutefois, quand on s’occupe trop des enfants, c’est très lourds pour eux. Et on n’est pas fait pour se perdre soi. Moi, aujourd’hui, j’ai plus des problèmes avec les enfants dont je me suis trop occupée que pas assez, d’avoir été trop lourde aussi. Je ne pense pas que les enfants soient faits pour qu’on s’occupe à plein temps d’eux parce qu’après c’est invivable pour eux. Ils doivent trouver leur route et leur route ce n’est pas avec vous.

Je pense que les mots : « féministe » et féminine »… sont des très jolis mots qui vont très bien ensemble.

Les histoires de blonde… ce n’est pas grave. L’ironie masculine n’est pas grave. Ce qui m’agace le plus c’est la réalité, pas les commentaires de cet ordre.

Il existe encore (il n’existe plus) des gens qui font bouger ce métier… ça existe, bien sûr. Nous, ont fait bouger ce métier et j’imagine qu’on est pas les seuls. Mondialement, des agences comme Wieden et Kennedy ou BBH font bouger les lignes. En France, il y a des gens comme Jean-Marie Dru. D’ailleurs nous sommes dans sa suite. J’ai été plus sensible à Jean-Marie Dru qu’à Philipe Michel. Je pense que Philippe Michel était un grand commercial planneur, mais je n’ai pas été élevée par lui ni dans sa culture.

Je pense qu’à 50 ans, on a « raté sa vie » quand… on continue de chercher les responsabilités ailleurs. A 50 ans, on a fait son chemin, on ne peut pas dire « C’est la faute de… » Il faut chercher en soi. Et puis, la réussite c’est quoi ? C’est quand les gens vont bien, se sentent bien. Les riches ont réussi leur vie ? Non ! Et « rater sa vie », ça me semble un peu violent. En tout cas, je pense que la phrase de Jacques Séguéla n’a pas fait du bien à Rolex.

 J’ai toujours eu une devise (un porte-bonheur)… je ne suis pas du tout « modèle, devise, porte-bonheur ». J’aime bien l’idée « si tout s’effondrait, je continuerais à planter des arbres ». J’aime tout ce qui crée un futur et qui permet à l’être humain de se construire. Et mes porte-bonheur ce sont tous mes p’tits bouts, même si parfois ils m’épuisent.

J’ai une manie… je range tout. C’est grave, je range vraiment tout et je n’ai jamais vu quelqu’un de plus ordonné que moi, c’est une maladie. Je ne crois pas qu’il existe quelqu’un aussi ordonné que moi.

Dans un match France-Espagne, je supporte… ça dépend. Si c’est le Barca, le Barca, si c’est Madrid, la France.

Mes amis m’aiment parce que… je ne sais pas et je ne me suis jamais posé la question.

Mes ennemis me détestent parce que… je ne sais pas non plus et ça ne m’intéresse pas.

Mon plus grand moment de solitude a été quand… quand on a fait l’agence avec Rémi (Babinet, ndlr) et Eric (Tong Cuong, ndlr). Au début, ce n’était pas marrant. J’étais avec 2 garçons, et moi c’était le monde des bisousnourses, donc avec une autre façon d’être. Ça a été difficile de trouver sa place. J’ai dû oublier vite les bisousnourses. Mais ça m’a beaucoup appris.

Mon plus grand regret est de… je n’ai pas de regrets. C’est compliqué le regret. Oui, si quand j’étais petite j’avais été en Angleterre je parlerai mieux l’anglais…

Mon plus grand remord est de... je n’ai pas trop de remords. Quand l’un de mes enfants a une difficulté, je me dis que je dois y être pour beaucoup, je le regrette, ça remet toujours en cause des choses profondes, mais je ne suis pas quelqu’un qui regrette.

Si je devais donner 3 tuyaux aux jeunes qui veulent rentrer dans la pub… Étudier, se cultiver et penser que ce métier est très difficile. Il demande de la culture, de la rigueur, et beaucoup d’énergie. Mais, comme toujours dans la vie, il suffit de tomber sur ce pour quoi on est fait et, si on trouve, ce n’est que du bonheur. Moi, quand je suis rentrée dans la pub, j’ai eu de la chance. Je me suis dit « Oula! Ils ont inventé ce métier pour moi ». Faire le métier pour lequel on est doué c’est une véritable chance. Il y a des gens qui cherchent toute leur vie.

Si je devais donner 3 tuyaux aux vieux qui ne veulent pas sortir… s’ils sont en forme et s’ils sont bons, qu’ils restent. Moi, je ne vais pas sortir tout de suite. (sourire)

Si je devais raconter une anecdote de ma carrière… j’en ai une toute petite. J’avais gagné un très gros budget et un jour avec toute mon équipe et Rémy (Babinet, ndlr), je suis rentrée dans la salle, c’était l’une des premières réunions avec le client. Tout le monde parlait, ce n’était pas agréable. Et les clients ne tenaient pas compte de ce qui disait l’agence. Certains pensent que tout le monde peut faire ce métier, mais ce n’est pas vrai, c’est un véritable métier. Pour qu’on le respecte, il faut que nous mêmes on le respecte. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris, j’aurais dit : « Je ne suis pas sûre qu’il fallait nous choisir, pas sûre qu’on est faits pour être ensemble ». Et là, j’ai vu toute l’équipe se dire « Ça y est, on va perdre le budget, alors qu’on vient juste de le gagner ». Je me suis dit « Oula ! ca va être chaud, maintenant». J’ai eu de la chance qu’ils soient restés, comme quoi, on peut dire parfois les choses qu’on ressent. Je suis tout à fait capable de faire ce type de bêtises. Et il m’arrive souvent de dire ce que je pense.

MINIBIO : Mercedes Erra est Fondatrice de BETC, devenue en 15 ans première agence française de publicité, classée deuxième agence créative au monde en 2010 (Gunn Report) et élue meilleure agence créative en France par CB News pour la 13ème fois en 16 ans. Elle est aussi Présidente Exécutive de Havas Worldwide et également Présidente d’Honneur de l’Association HEC et Officier de la Légion d’Honneur et Officier dans l’Ordre National du Mérite. Diplômée d’HEC et de la Sorbonne (Maîtrise et CAPES de lettres), elle enseigne en 3ème cycle (DESS de Marketing et Communication des Entreprises) à l’Université de Paris 2 (Assas).
A titre personnel, Mercedes est engagée dans de nombreuses causes en faveur des femmes, de la jeunesse et des droits humains : le Women’s Forum for the Economy and Society dont elle est l’un des membres fondateurs, le nouveau forum Osons la France, l’UNICEF, la Fondation ELLE. Elle est également membre actif du Comité français de Human Rights Watch. Par ailleurs, Mercedes Erra a été nommée Présidente du Conseil d’Administration de la Cité Nationale de l’histoire de l’Immigration en janvier 2010 et est devenue Présidente du Conseil d’Administration de l’Établissement public du Palais de la Porte Dorée en 2012. Elle est également administratrice des groupes Accor, Havas, de la Société de la Tour Eiffel et de La Fondation France Télévisions depuis 2011. Mercedes est maman de cinq enfants.

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13 réflexions au sujet de “Si tout s’effondrait, je continuerais à planter des arbres. Mercedes Erra.”

  1. Je suis d’accord avec Guillaume. J’avais déjà lu des interviews sur madame Erra. Ils nous font toujours le coup de la pauvre immigrée qui arrive en France, qui a des comptes à régler et doit démontrer qu’elle est à la hauteur et même mieux que les autres. En réalité, je viens de découvrir ici que c’est une femme extraordinaire avec des C….. qui ne singe personne et n’a rien à démontrer aux autres. Toute petite avait du caractère et savait exactement où elle allait et qui a tout mis en œuvre pour y arriver. Bravo !

  2. Voici une grande « dame » comme on en fait plus. Un (une) véritable chef (comment dit-on au féminin ?) d’entreprise, une bâtisseuese, une vraie femme, et aussi une douce maman. C’est un vrai plaisir de vous découvrir. Merci, Mercedes, Merci Babette pour ce magnifique portrait.

  3. Je me méfie de la perfection et des images fabriquées. J’espérais que dans ce type d’interview, elle tomberait dans un piège et qu’elle nous montre enfin sa face obscure. Que nenni ! Elle est intelligente, bosseuse, humaine, franche, ouverte et belle femme. Ca finit par être agaçant de ne pas lui trouver un défaut !

  4. C’est dingue! Tous les grands personnages de la pub qui ont réussi ont 3 trucs en commun : ils sont talentueux, maniaques et ordonnés. Etant donné que je suis bordélique, j’en déduis que, même avec mon talent, je n’arriverai jamais à être important:-)

  5. Ca a l’air facile comme ça, mais elle a du sûrement travailler 3 fois plus qu’un homme avec un talent de folie pour en arriver là. En parlant de quand elle a monté l’agence, Mercedes Erra dit  » Au début, ce n’était pas marrant. J’étais avec 2 garçons, et moi c’était le monde des bisousnourses, donc avec une autre façon d’être. Ça a été difficile de trouver sa place. J’ai dû oublier vite les bisousnourses. Mais ça m’a beaucoup appris. » Je pense qu’elle a du en baver à côté des deux requins mâles. Et c’est parce qu’elle est exceptionnelle qu’elle a tenu le coup et a réussi. Je suis admirative !

  6. Dans votre livre « Langue de pub » vous en avez fait un portrait très précis. Elle était parmi les légendes et/ou les « batisseurs » d’agence. Elle le mérite bien, mais c’est la seule femme. Je trouve incroyable que dans un métier comme la pub les femmes ne soient pas au pouvoir. Pourtant comme dit madame Erra, elles sont excellents. Pourquoi les DC sont des mecs ? Et les PDG ? Qui, en déhors de Mercedes est aux manettes d’une agence ?

  7. On a déjà tout dit sur cette chef d’entreprise et aussi sur sa vie personnelle : son mari à la maison, ses enfants, sa personnalité, sa lutte pour les droits de la femme et j’ai toujours pensé que tout ça faisait partie d’une image officielle fabriquée et bien orchestrée. Mais cette rencontre avec vous me fait comprendre que ce n’est pas de la promo et que derrière le personnage officiel il existe une femme forte, généreuse et très douée.

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