Face au viol, ne restez pas sans voix

Le Mardi 20 Janvier, New BBDO et le Collectif Féministe Contre le Viol nous ont dévoilé leur nouvelle campagne contre le viol.

C’est au chant du coq, alors que les premiers rayons du soleil illuminent timidement les façades des immeubles du 7ème arrondissement, que les portes de l’agence New BBDO s’ouvrent… Blague à part, il est 9h30 et, malgré un froid de canard qui pourrait en décourager plus d’un, beaucoup de gens s’affairent déjà frénétiquement au 23 rue Saint-Dominique.

IMG_0097Le long de l’escalier en colimaçon, véritable colonne vertébrale autour de laquelle s’articule l’agence, des affiches invitent à se diriger au 3ème étage pour une conférence de presse. Le temps de jeter un coup d’œil aux alentours, sourire de la décoration plus qu’originale (notamment un beau téléphone rouge au rez-de-chaussée), de reprendre son souffle et l’on s’engouffre dans le lieu indiqué.

IMG_0096La salle réservée au « reveal » est à l’effigie de l’agence : cosy par sa petite taille, dotée de plusieurs ornements et meubles relativement originaux, notamment trois rangées de chaises disposées devant un écran. Parce qu’il est tôt, que les yeux piquent et que l’on manque de se décrocher la mâchoire à chaque bâillement, du café et des viennoiseries sont mis à disposition sur une petite table. Le temps d’échanger quelques mots avec la poignée de personnes présentes sur les lieux et l’on nous invite à prendre place. C’est dans un silence respectueux que Renaud Gassin, président de New BBDO, et Emmanuelle Piet, présidente du Collectif Féministe Contre le Viol Viols-Femmes, réalisent un rapide préambule.

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Créé en 1985, le CFCV est un organisme qui assure un soutien permanent de tous les publics concernés par le viol. De par l’ensemble de ses actions de prévention et de formation, ainsi que les groupes de parole qu’il anime, le CFCV vise à mettre de plus en plus en lumière ces actes exécrables qui restent trop souvent impunis. A l’écoute, en apportant solidarité et aide, le CFCV accompagne les victimes et les informe de leurs droits, afin que justice soit faite et que les tortionnaires payent pour les actes infâmes qu’ils ont commis.

 Le premier visionnage du spot nommé « Proches » est suivi d’un silence de cathédrale, qu’Emmanuelle Piet brise avec un peu d’humour. Outre le fait que ce film traite d’un sujet tabou dans notre société, il faut dire que l’angle créatif et l’insight adoptés par celui-ci sont relativement surprenants. Si l’on imagine souvent que le viol est commis par un inconnu dans une rue sombre, le spot « Proches » rend justice au fait que ce constat est erroné. L’auteur du viol est connu de la victime dans 8 cas sur 10, et il s’agit dans 50% des cas d’un membre de la famille ou de l’entourage proche. New BBDO illustre ce fait en la personne de Marc, qui dans le film, semble être un homme très apprécié de tous, accueilli avec la manière et devenant instantanément le centre d’attention de la soirée. Sans les précisions apportées par la voix-off, qui pourrait se douter que Marc, faisant la bise à Julie comme si de rien n’était, l’avait violée ?

cfcv2Le spot, repassé une deuxième fois, donne une véritable claque à l’audience qui reste coi, bouchée bée, et ne sait pas trop s’il faut applaudir. Parce que le deuxième visionnage nous donne l’occasion de mieux appréhender les réactions physiques de Julie et l’empathie nous permet de comprendre émotionnellement ce qu’elle doit ressentir, l’absence de réaction de l’audience, qui a la gorge nouée, est compréhensible. Le visage de Julie trahit son mal-être, sans pour autant être révélateur des sévices subis. Le petit mouvement de recul et d’épaule qu’elle esquisse lorsque Marc lui fait la bise, témoignent de la peur qu’elle éprouve par rapport à ce dernier et sont l’équivalent d’un cri au secours dans le langage corporel. Le coup de grâce survient avec l’aide de la phrase prononcée par la voix-off « mais ça, qui peut l’entendre ? ». On prend alors la pleine mesure de la situation de Julie. Qui est-ce qui la croirait, dans cette soirée dont Marc est l’égérie, porté aux nues ? On imagine déjà Mathilde, Jean, Nora ou Eric nous convaincre que Marc est l’homme le plus cool de la planète, qu’il ne ferait jamais de mal à une mouche. Il y a alors prise de conscience que les amis de Julie sont également les meilleurs alliés de Marc, qu’elle est en réalité au pinacle de la solitude parmi tous ces gens, qu’elle n’ose pas et n’osera jamais parler puisque personne ne la soutiendra.

cfcv3Le film se termine avec un écran noir, où une typographie blanche indique que dans 8 cas sur 10, l’auteur du viol fait partie de l’entourage, ainsi qu’un numéro d’aide aux victimes. Les termes utilisés par Emmanuelle Piet, à la suite de ce visionnage, pour décrire le comportement des violeurs, sont difficiles à entendre. Choisir stratégiquement sa victime, analyser sa vulnérabilité, l’humilier et lui faire penser que c’est de sa faute, assurer son impunité en recrutant comme alliés ceux auprès de qui la victime serait susceptible d’aller chercher de l’aide… Tout cela fait penser à un travail minutieusement préparé, et on a la chair de poule de penser que certaines personnes puissent commettre de telles ignominies. Le viol, déjà traumatisant, a des conséquences majeures sur la santé, renchérit Gilles Lazmi, coordinateur de la campagne. Peur, sensation de perte de soi, cauchemars, états de panique, dépression, tentatives de suicide, la victime est meurtrie et porte les stigmates de l’acte dans le corps, la tête et la mémoire. En n’ayant personne auprès de qui se confier, en ayant honte, et en souffrant seule, la victime arrête de vivre et entre dans un cercle vicieux. On comprend donc l’importance du CFCV, qui aide à décontaminer la pensée de ces personnes et leur apporte un soutien inestimable.

C’est 1h plus tard que l’on évacue lentement les lieux. Le spot « Proches » accompli parfaitement et en tout subtilité la tâche de révéler ce qu’est vraiment la situation la plus fréquente de viol et ses circonstances. Chaque année 86 000 femmes sont violées, pour moins de 2% de condamnation des violeurs, notamment à cause de la peur des victimes d’en parler. L’impact des médias et des campagnes de publicités est inestimable, comme le souligne Emmanuelle Piet, puisqu’il permet de sortir de l’isolement. Aujourd’hui, encore, le viol demeure un sujet tabou et humiliant qui est atténué par des mots et tournures de phrases qui tentent d’en diminuer la gravité. New BBDO et le CFCV ont répondu à ce fait de société avec la meilleure des manières, et avec la méthode, qui contribuera, assurément, à empêcher davantage un acte abject et inhumain.

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