Delete

« Je ne comprends pas pourquoi les gens ont peur des idées nouvelles. Moi, j’ai peur des vieilles idées. » John Cage

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Dur, d’être un pionnier. C’est tellement plus rassurant de faire rouler les gens sur une autoroute bondée que de leur faire emprunter un nouveau chemin. Même si on évite les bouchons, si on met moins de temps et qu’il y a moins d’accidents.

Je raccroche le combiné en réfléchissant à la question du DirCom : » Avez-vous un exemple d’une manifestation semblable ? Où a-t-elle eu lieu ? Au Canada ? Aux USA ? « 

Allez, on part à la chasse au JSP. Au Canada ou aux USA. Ou peut-être en Australie ou au Japon. On finira bien par trouver. L’équipe se lance dans la recherche, mais nous finissons par nous rendre à l’évidence. Pour l’instant, personne n’y a encore pensé. D’ailleurs c’est le propre des idées nouvelles de n’avoir pas d’antécédent.

Bien sûr, aux USA, là où la télévision est le chewing-gum de l’œil, il existe la « Semaine sans télé », qui bénéficie du soutien de dizaines d’institutions et de milliers de professionnels de l’éducation et de la santé. Pour les Américains, qui passent en moyenne deux mois par an rivés devant leurs petits écrans, ce n’est pas très étonnant. Pas chez nous, où les antipub ont essayé de récupérer l’idée, sans grand succès.

En France, nous avons la « Journée sans achat ». Mais elle est aux antipodes de notre combat. Les antipub essayent d’opposer annonceurs et consommateurs, nous de les rapprocher. Ils cassent la pub, nous voulons la reconstruire.

C’est au moment où nous décidons d’abandonner, que Flo m’envoie un mail : « Si ce n’est pas le Jour Sans Pub, il lui ressemble étrangement. »

J’ouvre le PDF et je reste bouche bée. L’image est étonnante. Une ville où enseignes, slogans, pictogrammes, noms de compagnies et logos ont disparu sous des espèces de post-it géants, créant un impact visuel saisissant.

Montage sur Photoshop ? Mais non, ce n’est pas du toc, mais un vrai événement.

C’est arrivé pas loin de chez nous, à Vienne, du 6 au 20 juin 2005. L’opération s’appelle « Delete ».

L’événement s’est déroulé dans le centre historique, sur Neubaugasse, une des rues les plus commerçantes de la capitale. Sur une idée de Christoph Steinbrener et Rainer Dempf, des artistes Autrichiens.

Tous les panneaux publicitaires ont été cachés par des « bâches » d’un jaune clinquant avec une technique qui s’appelle le « wallpapering », un moyen facile et économique pour faire disparaître tous les signaux écrits. Le choc visuel est extraordinaire. Ça nous donne une idée de l’impact et de la force d’une telle opération, même sur un espace limité.

L’objectif des artistes était de sensibiliser la population à l’abondance publicitaire en centre-ville, de provoquer une réflexion et un débat stimulant sur la place de la publicité dans nos sociétés. Et pour alerter Annonceurs et agences sur le besoin d’élever le niveau de la créativité.

Pendant deux semaines, tous les messages commerciaux ont été couverts. « Il est temps que la qualité remplace la quantité, s’exclame Steinbrener. La publicité peut être très agréable à condition qu’elle soit créative et l’encombrement des messages ne fait qu’annuler leur visibilité. Notre but, c’est de rendre conscients publicitaires et annonceurs qu’il ne sert à rien de bombarder le public avec un nombre incroyable de messages de mauvaise qualité qui s’annulent les uns avec les autres. Nous sommes convaincus que cette manifestation alertera sur la nécessité de faire de la création de haut niveau et fera réfléchir les annonceurs qui sont restés ancrés aux vieux préjugés et pratiquent la vieille politique marketing. »

Les Marques, les commerçants de la ville et les autorités locales ont collaboré activement au projet. Et l’étonnant événement a attiré des hordes de curieux dans les rues de Neubaugasse, un des majeurs districts du shopping viennois.

La Chambre de Commerce, épaulée par les annonceurs, a sponsorisé ce projet en investissant $245,000, dans le but de relancer la consommation.

La virtualité embarrassante de la pub a attiré une foule de gens. Tout le monde y a gagné. Les consommateurs se sont réappropriés de l’espace public et ont ouvert le débat. Les Marques ont bénéficié de ce coup de pub extraordinaire et ont commencé à prendre conscience de la différence entre qualité et quantité. Et la spectaculaire réalisation artistique a déclenché un projet à plus à grande échelle aux USA. [1]

Delete me fait penser à Canada dry « Elle a le goût, l’odeur, la couleur du JSP, mais ce n’est pas le JSP.» Nous pouvons enfin donner un aperçu des retombées positives et surtout un petit coup de vieux à mon idée.

Ce n’est pas encore l’autoroute, mais ça roule. Suivez le guide !

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10 réflexions au sujet de “Delete”

  1. Initiative très intéressante pour révéler la saturation publicitaire que nous subissons tous les jours (le jaune tape-à-l’oeil fait ressortir cet excès à merveille). Cependant, ce genre d’opération n’est-il pas juste un coup marketing ponctuel qui, s’il a éventuellement le mérite de lancer un débat public, ne fait en rien changer les entreprises sur leur manière de communiquer? Une fois l’opération, il y a en effet fort à parier que les entreprises conservent leur mode traditionnel de publicité quantitative tout en partant à la recherche de nouveaux espaces publicitaires non encore conquis. Après la saturation, place à la sur-saturation…

  2. C’est sans doute un coup de marketing, mais si ça peut lancer un débat public… Et si les annonceurs et les agences se rendent compte de l’overdose visuelle et de l’inutilité de certains investissements, qui sait, ils pourraient comprendre que c’est bien plus intéressant de faire plus de qualité et moins de quantité.

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