LES AGENCES DE PUB TOO !

2019 : et la pub découvrit le sexisme…

Un océan me sépare de la ligue du Lol et de ses ordures, et quand je lis le Monde, c’est en corps 4 sur mon iPhone. En un mot, j’ai du recul—y compris 10 ans en free à une distance respectueuse du quotidien des agences françaises et/ou américaines. Mais quand même! Tout ce buzz autour du sexisme dans la pub, c’est une blague du « politically correct », non?
Evidemment, motus sur les affaires d’harcèlement en cours. Qu’il s’agisse de gros potins gonflés à la colère ou de faits qui relèvent de la justice,  je ne suis ni flic, ni juge, ni redresseur de torts. Je trouve juste un peu risible que la pub se soit crue au-dessus de la vague du #metoo. Ces jours-ci, un peu plus d’un an après l’explosion du scandale, tout notre métier semble se réveiller avec la gueule de bois. Car si le sexisme des agences de pub n’est pas un scoop, la grande nouvelle est que des filles de pub font enfin entendre leurs voix pour dire… leur souffrance!

Hommage à Mercedes Erra.

Comme beaucoup d’autres, j’ai longtemps été une Peggy à la Mad Men, avec ses lunettes et ses dicos. De celles qui servent la soupe à des machos plus ou moins talentueux pendant que des stagiaires “aimables” sont propulsées directrices de la prod ou du new business. Et oui, ce porc d’Harvey Weinstein n’a pas inventé la promotion canapé ! À l’inverse, le délit du « pas si beau cul que ça » existait aussi – et je doute que lui aussi ait disparu. Je revois encore le faux intello et vrai con qui, il y a un million d’années, m’a virée en m’expliquant qu’il n’avait rien à me reprocher, « … mais… – avait-t’il ajouté -… je ne t’aime pas ! » Alors, oui, je sais la violence qu’il y a pour une femme à faire sa place dans ce métier.
À celles ou ceux qui auraient la mémoire courte et la gratitude en berne, rappelons que c’est d’abord  Mercedes Erra qui a donné un grand coup de pompe dans ce pré-carré de neurones dopés à la testostérone. Merci à elle donc –  pour toujours – et à Marie-Catherine Dupuy avant elle, ainsi qu’à Anne de Maupéou, Agathe Bousquet, Valérie Henaff ou si peu d’autres encore aujourd’hui !
À mon petit niveau de directrice de création internationale pour des boutiques agencies, j’ai moi-même résisté à une autre forme de sexisme en engageant et formant des hommes autant que des femmes dans les secteurs de la beauté, de la mode et du luxe.

Jamais sans les hommes.

À mes yeux, être femme me dispense du besoin d’être féministe. Comme beaucoup d’autres, je déteste la récup marketing du “female empowerment”, ou la démagogie des hashtags façon #everydayiswomensday du 8 Mars. Je ne veux pas non plus, au nom de la parité homme-femme, forcer des quotas débiles. Je veux juste plus d’objectivité dans les critères de jugement des talents et des mérites. Dans la pub comme ailleurs, le pouvoir féminin ne peut pas et ne doit pas être une compète avec les hommes, mais une comparaison entre individus.
Le pouvoir féminin doit encore moins aboutir à une ghettoïsation manichéenne, à l’instar de “The Wing”, qui fait un tabac aux Etats-Unis. Ce co-working et social club, qui s’apprête à envahir la planète, a une particularité révolutionnaire : le club est, à l’origine, strictement interdit à tous les hommes. Bien que son succès soit un joli bras d’honneur aux Boys Clubs, c’est vraiment sinistre, non? Et insupportable que la raison principale pour laquelle les femmes y adhèrent est qu’elles disent s’y sentir enfin en sécurité!

Jeux de pouvoir émotionnels.

Rien de nouveau sous le soleil. Le harcèlement moral – ET le harcèlement sexuel – dans la pub et dans les médias, en France et ailleurs, sont bien ancrés et depuis très longtemps. Ce triste constat ne signifie en rien qu’on doive s’y résigner et arrêter de le dénoncer. Au contraire, il faut en traquer les origines pour mieux l’éradiquer et dépasser la rubrique des faits divers et du buzz nauséabond.
Par nature, la pub/com est l’un des métiers où les rapports de domination – en particulier hommes-femmes – sont les plus exacerbés. Pourquoi? Parce que c’est, par excellence, le milieu professionnel plutôt décomplexé et informel – créatif – pour lequel on donne toujours plus que l’on ne reçoit. Avec beaucoup de passion, d’intensité et du travail jusqu’à pas d’heure. Le privé et le professionnel s’y emmêlent les panneaux à longueur de charrettes. On s’aime. On s’engueule. On se déteste. On partage les pizzas froides et les retours clients. On se connait bien. Affectueusement. Intimement. Et mieux on connait quelqu’un, mieux on peut le massacrer en quelques mots… ou quelques gestes.
Dans les agences de pub, les jeux de pouvoir sont d’abord émotionnels.

Le culte du chef.

L’autre facteur confusant est qu’une agence de pub a toutes les allures d’une entreprise plutôt démocratique. On s’y tutoie et s’y habille comme en week-end. En réalité pourtant, il y règne un véritable culte du chef. Le leader – généralement le DC, mais pas toujours – est monté en figure de proue. On doit l’admirer, le suivre, le vénérer. Il faut savoir le séduire – professionnellement, intellectuellement, ou plus si affinités. La culture d’agence fait de lui, et parfois d’elle, un véritable gourou. Mais ces DC stars — souvent talentueux —ne sont jamais que des hommes (au sens d’êtres humains). Beaucoup n’ont pas les épaules pour assumer cette surdimensionnalisation de leur ego. Du coup, certains se muent en chéfaillons, voire en tyrans… et parfois en prédateurs (ou pas).
Contrairement aux Etats-Unis où le management est ancré dans le rôle du DC, beaucoup de créatifs en France arrivent au top un peu par hasard. Certains pratiquent le niveau zéro du management. Ils infantilisent leurs équipes en soufflant le chaud et le froid… et en particulier sur les femmes. Avec un sens inné de la phrase assassine, une habitude bien franchouillarde de la gauloiserie et le « zéro limite » tacite de réglements intérieurs par trop laconiques, un mini dieu mal embouché peut facilement décocher des flèches qui frappent fort, y compris en dessous de la ceinture.

La pub, condamnée à devenir un métier comme un autre ?

Réglement intérieur… le mot qui fâche est lâché. Et il fait mal. Je me souviens avoir lu ça dans le réglement intérieur d’une (très) grosse agence New Yorkaise où j’étais en mission : « les employés ne sont pas autorisés à entretenir de relations personnelles. » Brrrr… Glacial ! Finies la passion, la rigolade, la fête. Plus de « grande famille de la pub », aussi dysfonctionnelle soit elle. La nostalgie des années d’or de la pub n’est plus ce qu’elle était.

La « normalisation » des relations humaines dans les agences françaises est sans doute déjà en route. Mais quel dommage que ce soit d’abord à cause de quelques pauvres types qui confondent les boules du club des DA avec les leurs. Comme le fait la ligue du Lol née aux Inrocks ( les INROCKS! – j’y crois pas!) dans les médias, ce que cette crise du harcèlement révèle, c’est que dans la créa, le journalisme, la musique, le cinéma – dans tous ces métiers de rêve où les gens sont si talentueux, cools et censément progressistes – il y a autant de beaufs et de gens bien que partout ailleurs. Pour la pub, c’est peut-être le signe qu’elle a finalement atteint l’âge de raison. Dommage !
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