Quand Grand-Mère jouait la carte du désir

Capture d’écran 2015-04-08 à 10.34.20Carte Noire, le café nommé désir, créé par la marque Grand-Mère, celle qui sait faire un bon café, est un étalon dans sa catégorie. Pur arabica, plus cher que les métissages de grains, plus riche que le robusta, dès sa création en 1978, il revendique sa supériorité grâce à ses atouts. Sexy et techno à la fois, avec sa robe souple et sombre, loin des paquets rigides de l’époque, et sa « valve garantie fraîcheur ré-vo-lu-ti-on-nai-re ». Oui, vous avez déjà entendu ça quelque part, n’empêche dans ce cas précis, c’était vrai.

En pub, il a d’abord flirté avec TBWA. Puis, comme il est un peu le cousin de Jacques Vabre et de son Gringo, il va voir du côté de chez Séguéla – RSCG, l’agence la plus fun de l’époque – et se promet au plus offrant créatif.  En cette année 1984, année orwelienne s’il en fut, c’est ce qu’on appelle une prospection, Jean-Michel Goudard, le G de RSCG, est aux manettes. Là, on déshabille et rhabille le produit pour en faire un héros de Tenessee Williams, on convoque Brando et son tramway, car il est sensuel, brûlant, érotique comme un parfum ou un alcool fort.RSCG le jour sans pubJean-Paul Tapie et Jean-Phillippe Gauvin, DA/DC, imaginent un story-board où un homme, incarné par Jean-Marie Marion, symbole de beauté et de séduction, entreprend de conquérir une jeune femme. Le film sobrement intitulé « Le Paquet » démontre qu’on en est aux … préliminaires. Petits gémissements coquins et solo de saxo déchirant, à l’appui.

Jamais encore on n’a parlé d’un café comme cela. Selon Jean-Paul Tapie, CR, auteur de la baseline « Un café nommé désir » : « Compte tenu de l’emballage très agréable au toucher, il avait été décidé de travailler sur l’axe du plaisir des sens, alors qu’à l’époque la plupart des cafés communiquaient encore sur l’origine des grains ».

Les idées fusent, Les scripts valsent. Jean-Philippe (le DA/DC) et Olivia Van Hoegarden (moi-même), amoureux chacun de leur côté, se projettent et s’en donnent à cœur joie sur le thème de la rencontre sensuelle. Les gares, les avions (« Emmanuelle » n’est pas si lointain), les trains (Jean-Jacques Annaud réalisera plus tard 3 films inspirés de la « Madonne des Sleepings »), les coups de foudre, l’union charnelle sont au programme. on revisite « Velouté, ton petit goût frais me plaît » et ses pluies tropicales, « L’amant de Lady Chatterley », « Le journal d’une femme de chambre », « Plein Soleil ». Au bout du compte, le team se donne une feuille de route.

Il faut une situation torride… C’est l’amour au bord de la piscine, grand fantasme, Alain Delon, Romy Schneider – chouette et si on tournait à Ibiza ? Le packaging ? Il faut le mettre en avant ? Ah oui, ok, on n’a qu’à dire que c’est la robe d’une femme, splendide évidemment. L’homme ? Presque nu, il la rejoint et va la séduire avec cet arôme, comme s’il cherchait à l’enivrer avec un parfum capiteux, elle va humer, lui tendre ses lèvres et puis hop ! la robe va les envelopper en tournoyant et, merci les effets spéciaux, se fondre dans la tasse vue d’en haut ou dans le paquet de café… vous devinez la suite, un sucre ou deux ?

Il faut un super réalisateur. Justement, Andréi Konchalovsky, très en vogue, vient de tourner un film (sublime, forcément sublime) avec Nastassia Kinsky : « Maria’s Lovers ». C’est un bide, il a besoin d’argent, non heuh, il consent à faire de la pub, c’est une expérience tellement excitante. Le résultat est torride.

Il faut une musique. La talentueuse directrice de création son chez RSCG, Denise Donders, propose des classiques évocateurs, parmi lesquels « Try To Remember » rendu célèbre grâce à Harry Belafonte. C’est Jacques Séguéla qui tranche. Et vas-y pour « Try to remember ». On trouve une belle voix, aujourd’hui éteinte, pour faire le cover, Harry est bien trop cher. L’enregistrement est épique, jamais on n’arrive aux bonnes balances car les aigus et les basses sont coupés dans cet auditorium très en vue, par un ingé-son débutant. Mais la voix est magnifique, chaude, le talent du chanteur  sauve tout. Harry Belafonte reviendra plus tard et on en profite pour sortir un 45 tours « Vu à la TV ».

Captur tours Carte Noiree Il faut une suite. Et elles seront nombreuses. Finalement, ce film un peu maladroit, où un type en slip noir sort d’une piscine bleue réussit, grâce au café de sa grand-mère, à emballer une jolie femme, est le point de départ d’une campagne qui se déclinera autour de l’attirance physique et des sensations couleur café pendant plus de 20 ans. Et bien sur au fur et à mesure des innovations de la marque. D’abord avec RSCG et puis avec BETC, satellite étincelant de la fusion Havas/RSCG, qui saura faire évoluer et sophistiquer l’idée de départ. Les chiens ne font pas des chats.

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