L’abus d’Evin est dangereux pour la créativité ?

Vous prendrez bien une petite tranche d’Heineken…

heineken be fresh

 

La pub sur l’alcool c’est un casse-tête chinois depuis le 10 janvier 1991, date à laquelle certains créatifs français ont commencé à se creuser les méninges pour trouver comment dire sans dire et montrer sans montrer tout en restant intelligibles et créatifs. Tandis que nos voisins continuent de s’éclater en concevant des spots hilarants qui font le tour du web.

En effet, si chez nous, les agences n’arrivent pas à battre des records de visionnage et de bidonnage avec des campagnes d’alcool, ce n’est pas du tout parce que nous manquons d’humour. Il est évident que nos créatifs aussi auraient pu être à l’origine des sagas Heineken du type « Walk in Fridge » , et de » « Men with talent . Comme ils auraient pu concevoir l’excellent spot italien « Bear gloss » pour la St. Valentin.

Mais en France la pub sur l’alcool est interdite d’écran et bourrée de contraintes à cause de la loi Evin. Un texte qui permet de montrer uniquement les éléments « objectifs » liés au produit, sans inciter à la consommation par l’utilisation d’éléments subjectifs. Bref, un charabia fumeux qui laisse complètement dans le flou juridique et donne lieu à des interprétations multiples et parfois antithétiques.

Une chose est claire, après cette loi, la belle blonde a été interdite de télé et de cinéma, de boîtes de nuit et de lieux de consommation, impossible de la montrer en situation. Et impossible aussi de risquer des démêlées judiciaires car chez Heineken on est très sages. « ll ne restait qu’à lui trouver un territoire, capitaliser sur l’ADN de la marque verte et se fier à sa bonne étoile« , me dit Pierre Pénicaud, le DA qui a dû assurer l’après Evin.

Après avoir vécu la belle époque où des réalisateurs comme Robert Enrico, Bertrand Blier, Jean-Baptiste Mondino, Alain Franchet et bien d’autres, valorisaient ses charmes, après les adieux aux écrans avec son film culte et sa célèbre musique “Every Kind of people” signée Robert Palmer, les créatifs ont du gonfler à bloc leurs neurones.

« C’est ainsi qu’est né cet univers graphique vert-lumineux-fraicheur-degradé qui va devenir l’esprit même de la marque au point que quand Andros fait sa campagne dans un univers semblable, on ne peut pas s’empêcher de penser à Heineken » explique Pierre Pénicaud qui en est à l’origine. Le pari était risqué, mais le public aime ce bouleversement des codes couleurs traditionnels de l’univers de la bière, « La campagne a un excellent score de reconnaissance, attribution et agrément. Même si, comme il l’avoue, c’était une galère en fab » ». Le claim “Heineken, la bière qui fait aimer la bière” est remplacé par “L’esprit bière” qui sera remplacé par « l’esprit frais » pour évoquer la fraîcheur physique et mentale.

Mais comment retrouver la convivialité qui a fait les beaux jours de la marque et qui a sorti Heineken de l’univers « testostérone » des ses concurrents ? « Il a fallu s’adapter chaque fois, flirter avec la loi, la contourner, continue Pierre Pénicaud, en faisant constamment appel au service juridique de l’agence et du client, pas toujours d’accord ».

Depuis cette date, «nous avons travaillé avec une bouteille, un verre et un décapsuleur» avait expliqué Olivier Georgeon, qui était directeur de la création sur Heineken à ce moment. Vous souvenez-vous du « bonhomme » très drôle qui se prélassait dans un bain de mousse ? Une belle pirouette des créatifs. La loi interdisait de montrer des personnages ? Ils sont sortis des stéréotypes et ont joué sur l’anthropomorphisme. C’est ainsi que le décapsuleur a remplacé le bonhomme.

Il y a eu toutes sortes de galipettes pour ne pas se faire pincer par la loi. Comme l’idée de créer la H cup (Coupe d’Europe de rugby à XV), les soirées « Anne et Ken » dans les boîtes de nuit, et les nouvelles bouteilles, comme celle redessinée par ORA-ÏTO, devenue depuis une œuvre d’art et exposée dans les musées du monde entier.

Du bonhomme décapsuleur qui prenait son bain dans un verre aux rondelles de saucisson, de la bouteille dans l’espace au tube de dentifrice qu’on presse jusqu’à la dernière goutte, la magie de la saga continu. D’anthropomorphe, la bière est devenu polymorphe. Et depuis, chaque année nous assistons à une nouvelle métamorphose d’heineken qui, grâce à l’imagination infinie des créatifs, prend une nouvelle forme.

Au lieu de castrer les créatifs, la loi Evin les pousse à se dépasser et à faire frétiller leurs neurones. « C’est un métier de contraintes, » affirme sereinement Florent Imbert, l’actuel directeur de la créa à Publicis Conseil qui a repris le bébé. Voici une attitude positive pour repartir du bon pied. Je lui demande si c’est moi qui ai eu une hallucination ou si verre a changé. « En effet, il a été « redesigné » cette année par le client » précise-t-il. Changement de verre, mais aussi changement de vert. Pas tout à fait le vert-lumineux-fraîcheur-dégradé au quel on été habitués. Une variation sur le thème ou bien la fameuse galère de la fab ?

Cette année, le concept aussi a évolué, continue Florent Imbert, Fini les visuels intello, sophistiqués ou compliqués. C’est le retour au produit, à la connivence, au sourire et à la simplicité. Nous avons aussi simplifié la signature. »

Excellente idée de passer de « so refreshing » à « bee fresh ». La signature est nettement plus jolie et mieux mémorisable que la précédente. Mais, tant qu’à faire simple, pourquoi ne pas l’exprimer carrément en français ? Mais bon, comme tout le monde sait, dans la com c’est toujours plus cool d’ajouter du glam dans la life des youngs trandy !

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