Rendez-vous avec Jacques Séguéla

 Bienheureux les fêlés, car ils laisseront passer la lumière. » Michel Audiard
 
 j-seguela

À votre avis, y a-t-il un créatif connu et reconnu qui pourrait soutenir une action gonflée et redonner à la pub un peu d’émerveillement ?
Un publicitaire passionné et passionnant, un audacieux communicant apprécié par ses semblants et par le grand public, capable de relever des défis, de remettre en question les codes habituels et changer la face de la pub ?

Il n’existe qu’un seul publicitaire sur terre capable de supporter tous ces qualificatifs : Jacques Séguéla. C’est ce que je pense moi aussi en rentrant dans l’immeuble « verre et briques » à Suresnes.

Impossible de me la jouer « incognito », j’ai quand même quelques années de « maison ». J’enchaîne des « Salut » à droite et à gauche avant de m’engouffrer dans l’ascenseur, direction dernier étage. Bienvenue dans l’Olympe d’Havas, immense clé de voûte de la communication avec vue plongeante sur la Seine.
Ce rendez-vous est très important et je me pose mille questions.

Va-t-il appuyer le JSP ? Est-il resté le provocateur qui adore mettre du poil à gratter et repousser les limites ? Ou sa fonction de Vice-Président lui a coupé les ailes ?

J’ai une seule réponse : On ne peut pas avoir été et ne plus être. Flamme ardente ou étoile filante, je vais bientôt le savoir.

L’icône vivante me reçoit cordialement, visage serein, bronzé et sourire chaleureux.
Pas le sourire figé véhiculée par la marque « Séguéla », ni le sourire à paillettes de la star qui fait son numéro. Il a l’air sincère, presque tendre. Et, pour les mauvaises langues, il est bien mieux en vrai qu’à la télé.

Je m’enfonce, parfaitement à l’aise, dans le canapé moelleux du « coin-salon » de son méga bureau avec terrasse. Mon regard se balade dans la pièce et s’arrête net sur le nombre ahurissant de coupes et de trophées qui trônent sur les étagères. Waouh !! ! Comment peut-on gagner autant de prix dans une seule vie ? Je commence à lui parler de mon projet. Jacques m’écoute attentivement, ses yeux brillent de mille éclairs. Les mots peuvent tricher, mais le regard reste « la fenêtre de l’âme ». Et le sien dégage l’enthousiasme de « l’enfant terrible de la pub française ». Cette lumière qui jaillit de la fêlure magique est bien là !

Je continue, confiante. Je précise le but du JSP : une pause pour mieux repartir.
Je lui raconte la fin de la pub-monologue et la naissance d’une nouvelle ère où écoute, dialogue, interactivité, etcetera, etcetera… Bref, je ne vais pas vous rebattre les oreilles avec le JSP. Vous le connaissez déjà.

Quand la Génération Mitterrand devient Génération P [1] c’est que la révolution est déjà en marche. Comment celui qui a marqué les grands tournants de la pub, pourrait-il être absent d’un événement qui va changer à nouveau l’histoire de la pub ? Je lui montre la création JSP.

Soudainement son regard devient sombre. Il trouve la créa complètement nulle ? J’ai fait une bourde ? Si son ton reste amical, sa voix devient grave. C’est le Vice-Président d’Havas qui me parle: « La pub va mal, c’est indéniable. La dernière édition de la « Semaine de la pub » a été un véritable échec. L’idée d’un Jour Sans Pub est séduisante, mais trop risquée. »

Risquée ? Ce mot, dans sa bouche, me sidére. Je m’attendais qu’il trouve l’idée plate, nulle, claudicante, basique, mal ficelée, pas assez créative, mais je n’étais pas du tout préparée à une attitude pondérée et craintive. En fait, j’avais prévu les réactions du publicitaire enflammé me reprochant de ne pas aller assez loin ou d’avoir oublié le fameux « saut créatif ». J’étais prête à toute sorte de critique dictée par l’intensité émotive et la passion, mais surtout pas par la prudence et la raison. Ce n’est pas lui qui disait : « Je suis un mec qui agit avant de penser« . Pourtant il sait bien que, dans la pub, c’est l’élan irrationnel et l’insécurité la plus totale qui engendrent les meilleures créations. Qu’aucun événement inédit, aucune idée nouvelle ne peut se réaliser sans prise de risque. Et que le plus grand risque, c’est de ne pas prendre des risques.

Je sors quelques phrases maladroites pour contrecarrer ses arguments : «La pub va mal ? Logique, elle est « has been », elle est devenue une vieille dame frileuse et ennuyeuse qui ne fait que radoter et se regarder le nombril. Il faut qu’elle devienne une femme bien dans son temps, une nana qui assume, qui ose, qui écoute, qui étonne, qui séduit, qui amuse, qui comprend et qui sait se remettre en question. »

Jacques me précise les raisons de sa crainte : « Le Jour Sans Pub pourrait accentuer davantage le malaise actuel et se retourner contre la pub. »

Je bafouille :« Ce n’est pas en ignorant le problème, qu’il s’évaporera tout seul…. »

Son front se froisse : « Il ne faut pas oublier les antipub qui vont sauter sur l’occasion pour réagir et nous attaquer. Avec eux, aucun dialogue n’est possible, leur discours est à sens unique. »

Je continue à défendre mon bout de gras : « Les antipub ne sont pas stupides. Ils ne vont pas boycotter une action qui va dans le sens du citoyen, en se mettant à dos l’opinion publique… »

Jacques a un dernier argument : « Et il ne faut pas compter sur les médias, qui, eux, se limiteront à faire caisse de résonance. »

Je voudrais aborder ce chapitre. Lui dire que nous avons prévu de les contacter un par un pour leur expliquer le vrai sens de notre démarche, mais Jacques ne m’écoute plus. On vient de lui passer un appel téléphonique urgent. Ma voix s’éteint tout doucement.

« Encouragez l’innovation. Le changement est notre force vitale, la stagnation notre glas ».Je pense à la phrase de David Ogilvy. Ce serait drôle de citer le papa de la pub au pape de la pub. De passer d’une légende à une autre, avec une grande légèreté. Mais je suis si déçue que je n’ai plus l’humeur à l’humour.

Jacques raccroche et retrouve sa verve habituelle. Il blague en me disant quelques mots en italien, puis il se lève pour reprendre le combiné. «  Je vais en parler à Hervé  pour savoir ce qu’il en pense et pour connaître la position de l’AACC. Nous pourrons en discuter lors de la prochaine réunion.  »

Eh, j’ai bien compris ? La porte est encore ouverte ? Je souffle soulagée. Jacques n’a pas encore troqué son allure de légende pour un habit de sage. Le confort n’a pas pris pied sur l’audace. Et le goût de l’aventure reste plus fort que celui du pouvoir. Il doit juste respecter les règles du jeu.

L’AACC, c’est l’une des deux pièces maîtresses sur l’échiquier de la pub. Elle a le pouvoir de vie ou de mort sur le JSP. Rien ne se fera sans eux. C’est essentiel qu’elle rentre dans la danse. « Nous pourrons le rencontrer rapidement et réfléchir tous ensemble à comment rendre cette action positive et constructive. Aussitôt dit, aussitôt fait. Jacques se lève, prend le combiné et demande M. Brossard. Mince, il n’est pas là. Mais dès qu’il rentre il le rappellera.

« Je te tiens au courant » Jacques m’accompagne jusqu’à l’ascenseur. Ses derniers mots tombent comme un slogan : « Je ne prends pas la mer s’il y a danger de tempête.« 

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31 réflexions au sujet de “Rendez-vous avec Jacques Séguéla”

  1. Je ne comprends pas ses arguments. C’est quoi le risque ? Le JSP nous rendrait tous conscients qu’il y a un problème ? Pourquoi, on ne l’est pas ? Les antipubs vont taguer les affiches JSP ? Ils sont excessifs, mais pas débiles. Les medias non plus. Ce sont des non-arguments. Soit Seguela est resté à la génération Mitterand et ne comprend pas que le monde avance, soit il doit composer avec la mafia des assoc qui n’accepte pas que d’autres qu’eux changent les règles du jeu.

  2. Séguéla a quand même accroché au JSP et tu as eu un bon feeling. Tu l’as même trové sincère et chaleureux. Alors, les JSPistes, avant de le traiter de papy et de trouillard, attendons sa réponse ! Il n’a pas dit « oui », mais il n’a pas dit « non » et il a encore le pouvoir de choisir tout seul, même s’il doit suivre la « procédure politique ». Moi je suis optimiste. C’est un grand mec et il ne nous laissera pas tomber.

  3. Je pense comme Jo. Comme tu dis "on ne peux pas avoir été et ne plus etre". Seguela a bien vu que le monde a changé et, même s’il est vice-president, il reste toujours un artiste passionné. Il faut lui donner le temps de convaincre cette association tout puissante.
    Il a peur des antipub, mmmm….ouais, c’est parce qu’il s’est déjà fait insulter à la télé. T’as qu’à organiser une réunion avec eux ou à lui presenter Thomas Gueret.

  4. A force de retourner sa veste, c’est normal, elle est pleine de trous. N’empêche, il est toujours là, à 73 piges, avec ses éternelles vieilles recettes, son amour de l’argent et des UV. Néanmoins, quand il prend la parole, je le trouve moins mauvais que Jean Marier Dru (niveau façon de s’exprimer, je veux dire). Il est de mauvaise foi, mais il y a toujours une ligne directrice, il aime la pub, je crois et il en a fait quelque chose de pas mal dans les années 80. C’est le Jean Paul 2 de la publicité, un très, très long règne.

  5. Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Ce mec aime la pub, c »est un bon et n’a plus rien à prouver.
    Plutôt que se la jouer frileux, il pourrait prendre des positions gonflées et nous laisser bouche bée. Jean-Paul 2, malade et fatigué, nous a quand même surpris en poursuivant sa mission jusqu’au bout. C’est le pouvoir qui rend mou ?

  6. Je crois qu’il ne veut pas lâcher le morceau. N’oublie pas qu’il s’est vendu à Pouzhilac dans les années 90 en laissant tomber son groupe et nombreux de ses petits associés pour qui ils n’a eu aucune arrière-pensée.
    Quand Poupou s’est fait bouffer par Bolloré, Séguéla a bien failli subir le même sort, comme Cayzac, d’ailleurs.
    Il a donc rédigé en vitesse une hagyographie sur Bolloré: "Je suis tombé amoureux de Vincent" (hahaha), abandonnant Poupou à son tour, celà dit, on ne va pas pleurer sur ces requins qui se sont récupérés au PSG et à France 24 avec des golden parachutes de plusieurs millions d’euros. Seguéla pourrait très bien lâcher aussi, fortune faite, écrire des bouquins, conseiller des hommes politiques, comme il le fait déjà, mais je crois qu’il lui faut une vitrine, ce qu’il croit être son entreprise, alors qu’il n’en est que le valet.

  7. Je ne comprends rien à vos délires. Vous pouvez toujours critiquer, mais où est la relève ? Où sont les nouveaux Seguelas ? Et où avez-vous lu qu’il ne voulait pas soutenir le JSP ? Il réfléchit, laissez-lui le temps de réagir, avant de lui taper dessus. Vous allez voir, il va vous surprendre tous, petits jeunes ronchons.

  8. Je suis d’accord. C’est facile de critiquer et encore plus nul de s’attaquer à l’âge. Les vrais vieux sont certains jeunes qui n’ont ni son talent ni son génie. Seguela reste la super star et il n’a pas fini de nous étonner. Et tu as raison, il n’a pas encore dit son dernier mot.

  9. Bien sûr, la passion ne s’éteint pas avec l’âge. Regardez l’abbé Pierre passionné jusqu’à 94 ans, malgré sa maladie. Ce qu’on remet en question ce n’est pas qu’il n’ait plus 20 ans mais qu’il remplace le courage par la peur en sacrifiant ses ideaux de jeunesse au pouvoir. Je suis prêt à le parier, il ne prendra pas la mer. Il est bien mieux sur un yacht amarré près de la Seine.

  10. Je suis assez d’accord avec marguerite p, sauf pour la fin. Un valet, Séguéla ? Certes, il n’est plus aux commandes, mais un type qui se balade dans le monde entier pour dénicher les bonnes créas, qui fait son show de temps en temps dans les festivals et fait au fond ce qui lui plait, je n’appelle pas ça un valet.

  11. Moi je l’admire. Il a du talent, c’est un vrai communicant, comme on n’en fait plus. De mecs comme ça, il y en a un à chaque siècle. Je ne trouve pas que ce RV c’est mal passé. Babette le dit : il a été chaleureux, agréable et il l’a écouté. Maintenant il réflechit. C’est un gagnant et il ne fait rien sans mettre toutes les chances de son côté.

  12. J’ai lu un article dans Les Echos au sujet de "la Génération Participation".
    Le nouveau consommateur veut être écouté, partager le pouvoir de décision et établir une collaboration. Les annonceurs et le publicitaires français ont du mal à accepter ce changement, mais M. Séguéla, qui voyage aux USA, ne peux pas cette tendance. Petit à petit, tout le monde y viendra. Mais pourquoi ne pas prendre le devant ? Pourquoi ne pas être le premier à démarrer ? Il a toujours été un visionnaire et pas un suiveur. Le JSP c’est le signal de démarrage d’un monde participatif. Jacques peut être le "nouveau père" de la génération P.
    JSP : Je Séguéla Participation.

  13. Très juste, et sans cap à mademoiselle, monsieur et thuriféraire, excuse-moi, je suis en retard. Ceci dit, on peut discuter à l’infini des subtilités entre hagiographe et thuriféraire. Séguéla qui est un thuriféraire (c’est-à-dire qu’il a des avis dythirambiques sur tout) est devenu l’hagiographe de Bolloré afin de ne pas perdre son poste dans le groupe Havas, quitte à poignarder son ex-bienfaiteur (Pouzhillac) dans le dos. Ce qui fait de lui, n’en déplaise à un posteur de ce jour, qu’en en dépit ou à cause ou grâce à toutes ses qualités et sa liberté, un valet… de Bolloré. Et je ne le blâme pas, il a cette intelligence et
    lequel d’entre nous peut y prétendre? Pas moi en tout cas!

  14. Si Jacques a cette intelligence dont tu parles, il a intérêt à se dépêcher, si non le nouveau père va vite devenir un vieux pepère:) Babette nous raconte comme le JSP et le thème participatif ont fait sauter au plafond toute la bande des réactionnaires. C’est grave de chez grave. Et maintenant les vieux de la pub commencent à y réfléchir. On y arrive, mais c’est laborieux.
    Le discours sur le nouveau pouvoir des consommateurs commence à être pris au sérieux et, c’est dingue, les ignobles autruches sortent la tête de leur trou et ils se lancent dans des élucubrations pour s’interroger sur le nouveau rôle du consommateur, de la pub, des Médias, certains planeurs envisagent même de faire des changements. (ohhhh!!!!) Il y a des têtes qui marchent au ralenti. Jacques, si ton esprit est encore vif et si tu es toujours le meneur, laisse les mollassons réfléchir et agis^^^ . Détache-toi du troupeau des ces vieux emmerdeurs. En avant la Séguéla Participation !!!

  15. Judas a vendu Jésus pour trente pièces d’argent, quel prix a dû mettre
    Sarko pour que Séguéla trahisse Ségolène ?
    Monsieur Séguéla, à l’âge de la retraite et des bilans vous auriez pu
    vous payer le luxe de rester jusqu’au bout au côté de Ségolène au lieu de
    l’abandonner piteusement sur la dernière ligne droite, tel un courtisan qui
    sent le vent tourner et se précipite faire anti-chambre chez le "prétendu
    futur" monarque …
    Ce qui m’étonne le plus dans ces défections de dernière minute c’est le
    manque d’orgueil et de respect de soi-même que celà dénonce … je suis
    une femme et je préfèrerai mourir que d’agir de la sorte car on ne peut pas
    respecter les autres si on ne se respecte pas soi-même. -cqfd –

  16. Je suis degouté. Cet homme que j’admirais, ce n’est qu’un opportuniste qui n’hésite pas à enfoncer le couteau dans le dos de tous ceux que ne lui sont plus utiles. Ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. On a déjà eu un exemple avec Pouzhilac. Il continue avec Segolène. Qui sera le suivant ?

  17. Ce matin sur "Télé Matin"de Antenne 2, j’ai entendu Séguéla expliquer que si l’on n’avait pas de Rolex au poignet à 50 ans c’est qu’on avait raté sa vie.
    Il commentait par ces propos les critiques émises à l’encontre de Nicolas Sarkozy et de son ostentatoire goût du luxe.
    Les européens sont donc des ratés dans leur très large majorité.
    J’avais une profonde admiration pour cet esprit vif et éclairé qu’à manifesté souvent Monsieur Séguéla. Ce matin j’ai constaté avec tristesse que cet esprit s’était affreusement terni. Et que son mépris pour ses contemporains n’avait d’égal que son étroitesse d’esprit de caste. Ces propos le déshonorent et font offense à son intelligence. J’en suis choquée et triste pour cet homme vieillissant.

  18. Revenant sur l’affaire de la Rolex, Mr Ségéla je suis désolé mais je préfère la Breitling. Coluche avait raison il y deux catégories de gens aisés : les nouveaux riches et les anciens pauvres.
    Et c’est vrai qu’être con après 50 ans prouve que l’on a raté sa vie.

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