Rendez-vous avec un antipub

Deux scientifiques anglais nous apprennent qu’il existe une grammaire de la liane et une syntaxe de l’orang-outan.

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« Piow, piow, hack, hacks » en langage « gorille » signifie « On s’en va. » ( Etude de Kate Arnold e Kalus Zuberrbuhler, publiée dans Nature » ) D’autres animaux n’ont pas de cordes vocales ou ne savent pas contrôler les mouvements des lèvres, de la langue ou du larynx, mais chats, éléphants, dauphins, abeilles, chiens et même bactéries savent communiquer.
Si on trouvait aussi le moyen de faire communiquer les hommes, ce serait parfait.

Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec avec Thomas Gueret, le Président du RAP au métro Javel. Mais si les hommes ont de plus en plus de mal à communiquer, est-il possible qu’un antipub et une publicitaire puissent se comprendre ?

Il m’appelle sur mon portable,  il aura un peu de retard. Je déteste attendre, mais je ne lui en veux pas. C’est déjà sympa de me consacrer un peu de son temps. Militant écologiste, ingénieur de la mission « effet de serre», chargé du plan national de lutte contre les changements climatiques, président de l’association Résistance à l’agression publicitaire et directeur de la publication RAP-Echos, Thomas cumule ses fonctions et ses combats.

Il me rejoint quelques minutes plus tard, son sourire est désarmant. Nous prenons le couloir du métro pour remonter en surface. Je le regarde, bouche bée, éteindre une à une, toutes les lumières des affiches-couloir qui se trouvent sur son chemin.
Il m’explique « C’est un gâchis de consommer autant d’électricité ».

Je louche discrètement sur son vélo qui repose près d’un poteau. Fidèle à son principe « Il est urgent d’économiser le pétrole », Thomas se déplace à bicyclette pour contribuer à la réduction de la pollution atmosphérique. Son combat, ce n’est pas du toc. Tous ses gestes et ses actes reflètent ses convictions profondes.

On s’assied à une terrasse de café, il commande une orange pressée et gratouille de l’ongle un autocollant publicitaire scotché sur la vitre. Comment va-t-il réagir à mon projet ? Nos combats sont aux antipodes. Moi j’ai une idée, lui, une idéologie. J’aime la pub, il la combat. Il mène des opérations coup-de-poing, j’agis sur un coup de cœur.

Bien sûr, je pourrais m’attirer sa sympathie en lui disant que j’ai eu une prise de conscience militante, en reprenant quelques arguments des uns et des autres, et dieu sait s’il y en a, pour la critiquer. Ou alors montrer le JSP sous un angle différent. Mais je préfère jouer franc jeu. Son regard est transparent, mon projet sincère et je veux une réaction honnête au JSP.

Je commence donc par lui préciser que je suis publicitaire et que j’aime mon métier. Je ne suis pas contre la pub que je considère comme un des moteurs de l’économie de marché. Je ne crois pas non plus au consommateur débile qui, assommé par les message publicitaires, achète n’importe quoi les yeux fermés. Une bonne pub ne fera jamais vendre un mauvais produit. Des échecs répétés sont là pour le prouver.
Mon but donc ce n’est pas de casser la pub, mais de provoquer une prise de conscience pour l’améliorer, la rendre plus éthique, plus actuelle, plus créative, à l’écoute du consommateur et pour éviter les dérives, qu’elles soient humaines, sociales ou environnementales.
Puis, je lui raconte le Jour Sans Pub, tout simplement.

Il réfléchit. Le Jour Sans Pub lui semble un bon projet. Certes, pour les Annonceurs c’est un énorme coup de pub, mais s’il peut contribuer à faire évoluer les choses et apporter du concret aux consommateurs… La seule chose qui l’embête réellement c’est qu’il puisse être récupéré.

Il a raison, le JSP n’est pas à l’abri d’une récupération. Comme tout événement qui a un impact hors pair. D’ailleurs, même les actions des antipub ont été récupérées et intégrées dans certaines stratégies marketing des publicitaires.

Thomas me conseille de bien veiller à sa réalisation pour qu’il reste bien percutant. Je lui explique comment je voudrais concrétiser l’action et je lui parle des difficultés que je rencontre sur mon chemin.

Nous parlons ensuite des Annonceurs, des publicitaires, des régies médias.
Il veut bien croire à la bonne fois de certains Annonceurs et même de certains publicitaires, mais pas à celle des afficheurs.
Depuis longtemps il a engagé un bras de fer avec ceux qu’il considère comme les principaux responsables de la pollution publicitaire. Des dizaines de milliers de panneaux et d’enseignes continuent à polluer illégalement les paysages en violant le Code de l’environnement en matière d’affichage publicitaire.
Il me cite les entrées de la ville de Montauban qui, comme tant d’autres, ont été saccagées par les afficheurs. Ca l’étonnerait fortement qu’ils fassent un geste envers le consommateur et encore plus qu’ils soient ouverts au dialogue.

Je lui dis que, jusqu’à present, les afficheurs que j’ai contacté font la sourde oreille ou sont carrement hostiles au projet, surtout par peur des antipub.
Ça le fait rire. C’est vrai qu’en le disant, je trouve un peu ridicule d’imaginer les antipub s’acharner contre une journée sans pub.

Je lui demande aussi s’ils peuvent nous interdire d’afficher. Il m’apprend qu’en effet, ils ont le droit de refuser une campagne qui va à l’encontre de leurs intérêts.
Mais Thomas pense qu’ils seraient bien en mal de démontrer que la campagne « Chut… » pourrait leur nuire. De plus, ils seraient perçus comme des censeurs.
Les antipub ont déjà été confrontés à ce problème. Il va consulter l’APE qui avait évoqué cette question du refus de vente en 2004 et il me donnera davantage de détails. Il posera aussi la question à un juriste.

Pour finir, Thomas me précise qu’il ne faut pas que je m’attende que les antipub soient moteurs du projet, mais peut-être pourraient-ils y contribuer indirectement. Ils pourraient participer, par exemple, à l’ouverture de dialogue qui va avec.

Je n’ai jamais imaginé un seul instant que les antipub auraient pu m’aider.
Sa proposition d’ouvrir le dialogue change totalement l’image agressive que j’avais du mouvement. Je pense à une phrase de Marek Halter « La violence commence où la parole s’arrête« . Les opérations commando des antipub ont été provoquées par le refus de dialogue. C’était peut-être la seule manière de se faire écouter. Il me confirme que leur philosophie n’est pas hostile à la publicité, mais à son mauvais usage.

Nous quittons le café. Il est serein, moi aussi. On peut mener des combats différents avec des moyens divergents, mais quand c’est pour la bonne cause, quand on a un esprit ouvert et on connaît le mot « respect », on finit toujours par se comprendre.

Sur le chemin, il ramasse un papier qui traîne par terre pour le mettre à la poubelle. Il va en parler au sein de l’association pour avoir le sentiment des autres antipub. Il me tient au courant.

Un bus passe. Le président du RAP regarde la fille déshabillée, couchée sur le flanc de bus et soupire en secouant la tête. Nous nous quittons devant son vélo. Le travail nous attend.
Piow, piow, hack, hacks, aurevoir.

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13 réflexions au sujet de “Rendez-vous avec un antipub”

  1. C’est en échangeant des électrons que les atomes se lies et créent de nouvelles matières.
    La vraie communication, c’est-à-dire l’échange, est l’énergie du changement, de la création et de toute vie.

    Là où l’échange est coupé, la création s’éteint et l’inertie s’installe.
    Une citation très célèbre illustre cette mort à merveille:
    " Diviser pour mieux régner "

    Même si le JSP peut-être récupéré par certains, le fait de pouvoir ouvrir un dialogue incluant toutes les personnes concernées par la pub (consommateurs et acteurs professionnels) ne peut que faire émerger du bon sens et des idées nouvelles pour le bien de tout le monde… sauf pour ceux dont la devise est citée plus haut.

  2. J’ai toujours imaginé les militants anti-pubs comme des gens violents scandant des slogans et détruisant le mobilier urbain. J’ai suivi divers débats, dont celui avec M. Seguela qui, agressé verbalement, a été contraint de quitter le plateau. Je les ai trouvés bornés et leur discours est à sens unique. Votre expérience me surprend beaucoup. Vous êtes sûrement tombée sur le seul antipub modéré capable de communiquer. Si votre projet se réalisera, je suis prête à parier qu’ils se déchaîneront sur vos affiches de « paix ».

  3. Peut-être qu’au lieu d’"imaginer" les gens (qu’ils soient militants ou pas, d’ailleurs) en particulier par l’intermédiaire des médias et de leurs mises en scène, il serait pertinent de les rencontrer en personne pour s’en faire une idée.

  4. Il faudrait aussi arrêter avec l’image de "meute antipub" et voir qu’il y a plein de gens (qui font partie d’une association ou non) ayant une démarche combative individualisée et raisonnée contre les dérives de la publicité.
    Mais bon c’est comme ça… les médias (et ceux qui les consomment) préfèrent la simplicité des images "choc" à la réalité complexe du monde!

  5. Je suis d’accord avec Sophie et je comprends la crainte des afficheurs à l’egard de votre action qui pourrait leurs donner une nouvelle occasion de se dechaîner. Le dialogue et le respect ne sont pas la plus grande qualité des antipub. Ce monsieur Gueret est peut-être sincère, mais les autres ?

  6. Pour répondre à Toutcom, je rappelle la belle et logique phrase de Marek Halter « La violence commence où la parole s’arrête ». J’ajouterai aussi que les associations antipub sont avant tout des personnes qui se posent des questions sur les problèmes de société, qui analysent, raisonnent et qui désirent essentiellement communiquer du bon sens… et ce n’est sûrement pas leur genre à se jeter des peaux de bananes sous leurs pieds lorsqu’on leur donnent enfin un moment de parole ! Ce que les afficheurs craignent, c’est surtout de devoir faire des concessions pour répondre à une prise de conscience massive d’une société plus avertie.

  7. Je pense que les antipub ne sont pas violents, mais c’est comme dans les manif’. Il y a toujours un groupuscule qui fout la pagaille. A part ça, Fred a raison, il ne vont pas jeter une peau de banane sous les pieds d’une initiative qui permet aux médias d’avoir une attitude citoyenne. Ils se débinent par peur de devoir faire des concessions.

  8. Chère Babette,

    Je retrouve bien dans ce compte rendu le contenu de nos échanges et te remercie au passage de toutes les gentillesses glissées à mon intention. Je me sens flatté !

    Ci-dessous quelques commentaires destinés à compléter et préciser quelques points pour que tout soit le plus clair possible.

    – D’abord, il faut savoir que R.A.P. n’organise pas d’actions illégales ni n’appelle quiconque à y participer. Nous sommes une association légaliste et je crois que les qualificatifs d’ « opération commando » ou « coup de poing » ne nous correspondent pas tellement. Ce serait plus du registre d’autres mouvements antipublicitaires qui pratiquent eux des opérations de « désobéissance civile », se réclamant de l’approche non-violente d’un Gandhi ou d’un Martin Luther-King.

    – Je n’ai finalement pas consulté Agir pour l’environnement, mais je leur mets une copie de ce message.

    – Concernant la participation de R.A.P. au JSP, ce n’est toujours pas à l’ordre du jour car nous ne sommes pas là pour améliorer l’efficacité de la publicité ! Nous serions plutôt pour moins de publicité toute l’année… Mais je confirme que nous sommes disposés à dialoguer avec les professionnels, dans le cadre du JSP ou ailleurs, ce que nous avons toujours fait en acceptant en général les émissions, les conférences et autres confrontations pour peu qu’on ne nous mette pas de manière grossière en infériorité numérique ou de temps de parole… Dommage que les publicitaires fassent souvent preuve de moins d’ouverture d’esprit de leur côté. On m’a dit que le BVP (émanation des professionnels) aurait encore demandé la semaine dernière, pour accepter une invitation à la radio, que les antipub soient exclus du débat !

    – Pour conclure, je trouve toujours très positif que des publicitaires tentent d’introduire plus d’éthique dans leur système, même si c’est aussi pour « redonner confiance au consommateur » (donc quelque part faire baisser ses défenses). J’espère sincèrement que cela avancera dans le bon sens parmi les publicitaires et les annonceurs. En revanche, il ne faut pas nous demander de troquer de la déontologie contre les nécessaires ajustements réglementaires qui seuls permettront réellement d’encadrer les abus de la publicité…

    J’invite ceux qui veulent en savoir plus à visiter notre site http://www.antipub.net et l’initiative que nous avons prise sur les questions d’environnement, avec l’Alliance pour la planète http://www.lalliance.fr

    Bien cordialement,
    Piow piow hack hacks comme on dit par chez nous !

  9. A Sophie et Toutcom : pour avoir été dans plusieurs mouvements militants, j’ai plutôt le sentiment que les antipubs sont profondément non-violents, pacifiques et ouverts au dialogue.

    Si certains s’attaquent directement aux panneaux publicitaires en les barbouillant, il faut savoir que c’est suite à un processus qui dure depuis des années, avec des associations légalistes comme Paysages de France, qui saisit les autorités ou la justice pour que la loi soit respectée, c’est à dire notamment pour que cesse l’affichage illégal, qui constitue une bonne part de la pollution publicitaire.
    Malgré quelques résultats effectifs, le harcellement publicitaire s’amplifie de jour en jour; certains ont donc choisi la voie de la désobéissance civile pour provoquer le débat…

  10. Bonjour, autour de Montauban, les immenses étendues de parking bitumés, les km de clôtures, commencent à remplacer les haies, les bois, les champs, le clocher qui servait de repère. Les nouveaux entrepôts de logistique avec leurs parkings à camions foisonnent. Ce gaspillage d’espace massacre les paysages. Devant un tel gâchis, on est en droit de demander: allons nous continuer dans cette voie? Qu’a-t- on fait des paysages? On connaît le chantage à l’emploi qui a permis, et permet encore, le maintien de certaines activités polluantes. La collectivité commence maintenant à en payer le prix. La leçon sera -t- elle un jour comprise? Quels paysages laisserons-nous à nos petits enfants? Vous pouvez voir le film/docu ‘Montauban et les 400 panneaux sur :

    http://www.bap.propagande.org/mo...

  11. Bonjour, dans ma ville d’adoption – Montauban, les afficheurs ont ruiné les entrées de la ville (plus de 400 panneaux géants). Il n’y a aucune excuse pour toute cette laideur.
    Je représente Paysages de France dans l’élaboration d’un règlement local de publicité à la mairie. La ville propose de libérer tous les rond points et les jonctions de la pub et de réduire la taille maximale admise. Nous essayons par des moyens légaux d’arrêter le saccage, mais l’UPE essaye d’anuller l’arrêté en disant que Paysages de France est une association nationale et pas locale. Pourquoi ne pas rendre à Montauban un visage humain ? Pourquoi nous pousser à utiliser d’autres moyens ? Les montalbanias sont déterminés à mettre fin au saccage de leur ville. 2000 signatures ont été collectées pour demander l’interdiction des grands formats (4x3m). Si vous connaissez Stephane Dottelonde, essayer de le raisonner.

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