Soif d’idées, faim de pub

Dans mon bureau, à Dreamland, il y a une multitude de « chaperons rouges ». Certains ont de grandes oreilles, d’autres de grandes gueules.

 

Celui qui cherche l’idée avec moi aujourd’hui, a un piercing sur le sourcil gauche et concocte de jolis spots télé. Le DA me parle de ses différentes idées pour décliner le concept du JSP à la télé. Elles sont intéressantes, mais celle qui retient mon attention, c’est le petit film d’animation en noir et blanc, très graphique, cohérent avec l’affichage JSP.

Le spot démarre sur un écran entièrement rempli de typos « Pub ». En voix-off, on entend des messages publicitaires sans pouvoir les distinguer. Ils se superposent, s’agitent, s’enchaînent, s’accélèrent jusqu’à devenir une cacophonie.
La typo suit le rythme des voix. Elle bouge, se déforme en se tortillant, s’allonge, s’écrase, saute… La cadence devient de plus en plus rapide, le bruitage de plus en plus strident, jusqu’à faire grincer les dents.
A ce moment, une voix-off susurre tout doucement  » Chut…. » La typo s’envole comme les graines d’une fleur, quand on souffle dessus en faisant un voeu. Le bruit agaçant s’arrête net. L’écran devient blanc et une musique zen et planante nous apaise et nous emporte. Un bandeau défile sur l’écran : Les marques se taisent pour mieux vous écouter et vous offrent un jour sans pub. Suivent les noms des annonceurs qui ont participé à l’opération.

J’imagine une réalisation aux petits oignons, graphique et très épurée, avec la typo qui bouge en dessinant des pleins et des déliés et en se métamorphosant joliment. Ça peut donner un film très esthétique et pas du tout gratuit. Je pense aussi aux effets sonores et à la musique qui pourrait l’accompagner. Puis je secoue la tête :
On veut que le consommateur s’exprime et là nous sommes, encore et encore, dans
l’éternel monologue des marques.

Fabien a une autre idée « Et si on faisait parler Madame Michou et ses enfants ? »
Oui, ce serait logique. Mais une fois dans le spot, la pauvre dame va ressembler à l’éternelle ménagère-fausse-testimonial pour lessive. Et ses enfants feront tache.
Nous réfléchissons longtemps sur la manière de créer de l’interactivité entre le spot et les consommateurs. Nous lançons des idées et des idées, qui partent comme des feux d’artifice et tombent comme des étoiles filantes. Puis, je change d’angle d’attaque et j’ai un flash… C’est ça la magie de la création. Je m’exclame » Le Chut d’or ! »
Je m’explique : On demanderait à chaque agence de pub de concevoir un spot TV sur le concept du Jour Sans Pub. Pas de marques, pas de logos. Une vraie aubaine pour les créatifs, qui, débarrassés de toute contrainte, pourront enfin donner libre cours à leur créativité. Ce nouveau challenge permettrait aux Agences de démontrer au grand public que la bonne création, la drôlerie, l’originalité, l’esprit novateur, font toujours partie de la pub. Et que création rime aussi avec récréation. Les spots passés tout au long du JSP, donneraient vie au « Chut d’or », une émission télé ouverte au grand public. Christian Blachas [1] pourrait présenter cette émission. Sans en faire une « Star Académie », on pourrait permettre au grand public de devenir jury et de donner son avis par SMS ou par téléphone.

Fabien sourit, amusé. Pas mal, au fond pourquoi seuls les professionnels de la pub jugent la Pub ? En faisant participer le public, nous inversons les données. Le spectateur devient acteur et partie prenante. Bizarre que personne n’ait jamais pensé. Mais il nous faut l’appui du Club des DA et de l’AACC. Bon courage !
Mais si, mais si, il n’y a pas de raison pour qu’ils nous disent non. Je les contacterai.

On passe à l’affichage. Fabien a monté les maquettes sur des Kadapaks et les dispose tout autour de nous, à la verticale. Ça va donner quoi une ville plongée dans le silence ? Quel est le panorama que les Français vont découvrir en se réveillant ? J’ai enfin une vision d’ensemble. Nous imaginons l’effet « Chut… » qui se répand dans toute la ville. J’entends même le bruit du silence. Et là, le choc… Je me revois aux USA, dans le métro de Washington avec ses stations et ses couloirs gris, dépouillés de toute image et je ressens cette sensation de manque, de vide. Sans publicité, sans couleur, sans images, j’avais l’impression d’être privée de choix. Plongée dans l’uniformité, je me croyais dans une ville du bloc soviétique.

Je cherche le regard de Fabien pour y retrouver la même sensation de creux à l’estomac, mais ses yeux brillent de satisfaction. Je tente : Ça ne te donne pas le bourdon ? Ce n’est pas triste une ville muette ? L’absence de visuels, même si au début peut intriguer, étonner et donner ce moment de respiration tellement attendu, ne va pas finir par donner un effet de manque ? Tu ne crois pas que, plongés dans la grisaille et dans la monotonie, les gens finiront par se dire que la pub est aussi beauté, expression, émotion, choix et qu’elle contribue à égayer la vie ?

Fabien me regarde comme si j’étais atteinte d’une maladie incurable : T’es vraiment accro de la pub. Les Français ont le ras-le-bol d’être pollué et ils n’attendent qu’une chose : qu’on leur fout la paix. Ce n’est pas parce que tu as une sensation de vide que les gens vont réagir comme toi. Et la France ne sera pas muette, au contraire, tous les Français pourront s’exprimer. C’est bien toi qui a eu l’idée de leur donner la parole. Oui, c’est sûr, ils préféreraient voir des images et des couleurs sur les murs, dans le métro, dans la ville, mais ce seraient plutôt de jolis dessins, de belles photos de nature, de paysages sans logo, sans but commercial. Ça devrait être toujours comme ça.

Ses idées irréalisables m’amusent : Évidemment, si c’était possible. Mais ça ne l’est pas. Nous ne sommes pas dans un conte de fées ni dans un monde imaginaire. Tu en connais, toi, des mécènes prêts à payer pour montrer des jolies images aux citoyens ? Ou ce seraient les citoyens qui régleraient l’addition ? Parce qu’il faudrait bien payer les photographes, les artistes, les droits d’auteur, l’impression, le papier, les gens qui collent les affiches, l’espace médias… Fabien ne lâche pas. Mais il doit bien y avoir des artistes prêts à mettre à dispo gratuitement leurs photos ou leurs œuvres pour être connus. Je suis certain qu’à bien y réfléchir on peut y arriver. Imaginons que les artistes jouent le jeu. Qui paye l’espace ? Tu sais combien coûtent les emplacements de Métrobus sur les quais du métro ? Prenons le réseau Cristal, juste pour une vague. Tu vois, les affiches qui sont côte à côte, par deux… Rien que pour ça on en a au moins pour 200 000 euros.

Pas convaincu, il imagine toute sortes de scénarios nobles et généreux pour pouvoir couvrir les murs et les transports de beauté et de gaieté à plus jamais. J’adore sa foi et son idéalisme. Et l’énergie qu’il met à me convaincre. C’est bien de rêver et de croire à ses rêves. C’est bien d’avoir 20 ans et d’imaginer l’existence d’un monde idéal. C’est bien de s’insurger contre l’esclavage de l’argent et vouloir un monde rempli de poésie. Mais un jour ou l’autre, Chaperon rouge en aura marre de se faire manger par le loup. Elle enfonce bien ses pieds dans les nuages, ouvre grand ses grandes oreilles, fait de grands yeux et montre ses grandes dents. Et finit par manger le loup. Gnam, Gnam !

POST-IT : Que vous soyez Chaperon rouge ou loup, que pensez-vous d’une vie sans pub ? Et le Chut d’or, qu’en pensez-vous ? Ca vous amuserait ou vous agacerait ?

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9 réflexions au sujet de “Soif d’idées, faim de pub”

  1. J’attend vraiment de voir ce jour sans pub car j’ai du mal a y croire. Mais j’aimerais bien que vous réussissiez, ce serait un évenement qui aurait du sens.

    J’aimerais réagir sur votre spot TV:
    "Les marques se taisent pour mieux vous écouter et vous offrent un jour sans pub. Suivent les noms des annonceurs qui ont participé à l’opération."
    Le sponsoring est une forme de publicité si je me souviens biens. Ne serais-ce pas un peu se moquer des gens que de permettre a des marques de COMMUNIQUER grace a un semblant de jour sans pub?

    Le vrai principe d’un jour sans pub serais de supprimer le maximum de canaux qui permettent aux marques d’être visible.
    Mais peut être est-ce impossible. Tout le paradoxe tient à ce que vous dépendez des marque pour financé ce jour sans pub. De fait, le JSP pourrait permettre aux marques sponsors de communiqué sur leur éthique vis a vis de la pub et donc de leur respect pour le consommateur. Des valeurs qui feront sans doute mouche sur la cible la plus dur à atteindre par la pub: les antipubs.
    Moi à la place des marques je m’enpresserais de financer cette campagne…

    A vous de relevez un defis encore plus grand : le sponsoring anonyme.

  2. Bonjour à tous,
    Une vie sans pub ? Si on pouvait afficher des oeuvres d’artistes, comme dit Fabien, je n’aurais aucune hésitation. Mais qui payerait l’addition ? Nous, les pauvres contribuables ? Non, merci.
    Entre un monde gris et des affiches de pub, j’hésite. Un jour sans pub, ça répose, une vie grise, je ne suis pas sure que ça me plairait.
    Le Chut d’or ? Aucune hésitation, je suis pour. Je trouve que c’est une idée formidable. Ce serait bien qu’on puisse s’exprimer et donner notre avis. Certaines publicités m’agacent, d’autres sont droles et sympatiques.
    Et pour finir, le sponsoring anonyme. Ce n’est pas un defis, mais une guerre perdue d’avance. Poussinou, tu vis ici ou dans un conte de fée?

  3. Un jour sans pub ? Extra ! Une vie sans pub ? Ca depend. Si la pub est nulle, je m’en passe volentier, si la pub est très bonne, je veux bien vivre avec. Le chut d’or ? Une manière de faire la difference entre une bonne et une mauvaise pub.
    Et c’est nous, les consommateurs, qui la ferons. Je suis pour pour pour 🙂

  4. Un monde sans pub, ça me fait penser aux stations de métro sans panneaux publicitaires: "Louvre" et "Arts et Métiers". La première fois que j’ai parcouru ces stations ça ma fait bizarre, c’était comme si c’était pas des stations de métro, il y avait quelque chose en plus, une ambiance, un esprit, je dirais même un univers autre.
    Pouvoir s’imaginer qu’un monde sans pub serrait comme un monde uniforme, vide de couleurs, de choix, un monde incomplet, est la preuve que nous sommes englués dans nos habitudes à subir, à réagir et à désespérer.
    Je vais vous faire un aveu, je suis graphiste ce qui me permet de voir à travers la toile de fond publicitaire qui me cible, cela me donne l’impression d’être immunisé face la manipuléose et la fièvre acheteuse! J’ai de la chance car je peux contempler avec distance ces images et ces mots pour leur beauté plastique et leur intelligence malicieuse sans gaspiller mon temps de cerveau disponible et sans subir les effets secondaires. Je devrais être content, j’ai le beurre avec l’argent du beurre et tout ça sans cholestérol…
    Hé ben NON, parfois j’ai comme un arrière-goût très amer face aux campagnes les plus "créatives", les plus "éthiques" et les plus "émouvantes". A ces moments là, je me dis que je ne peux pas continuer à regarder et à travailler comme si je ne savais pas. Savoir quoi? Que tout est creux dérierre cette surface dorée, la créativité est intéressée, l’authenticité est valeur ajoutée, l’éthique est apparente, l’émotion est calculée.
    Alors pour moi une vie sans pub, c’est un monde plus vrai et une existence plus entière.

  5. Je suis DA dans une grande agence. Le Chut d’or me semble une excellente idée. Elle permettrait auc consommateurs de s’exprimer, mais aussi à nous, les créatifs de liberer nos idees. Aujourd’hui nous n’arrivons plus à faire de la veritable création. Les directeurs de la creation sont devenus des financiers et ont fini par oublier leur vrai metier. On leur demande de la rentabilité et pas d’avoir des idées. Et nous, les creatifs nous sommes enfermés dans toujours plus de contraintes, sans liberté d’expression et perdons tout notre elan. Le Chut d’or, nous permettrait enfin de faire notre metier.

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