Mission impossible

Une gélatine gluante s’empare de mon cerveau. Pourtant je suis dans la phase « danse avec les mots », celle qui m’envoûte et me donne des poussées d’adrénaline.

Le moment est venu de me consacrer à ce que j’aime et que je sais faire le mieux : la création. Ma tête fourmille déjà d’ébauches d’images ou de mots qui d’habitude finissent par exploser en feu d’artifice. Mais aujourd’hui je m’interdis toute exaltation créative. Je raye de ma tête les images décalées, les jolies phrases accrocheuses, les formules habiles, les jeux de mots, bref tout ce qui pourrait ressembler, de loin ou de près, à de la pub.

scrabble

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et voilà, à force d’effacer, c’est la lobotomie totale. Thierry-Olivier a beau me relancer, mes neurones pataugent dans un marasme d’idées confuses et je bloque sur toute la ligne.
Pourtant je sais où je vais et ce que je veux : un message simple, populaire, fédérateur qui touche tout le monde, exprimé par une image sobre ou par des mots élémentaires. Et c’est bien là, le problème. Comment faire passer le message sans qu’il n’ait l’odeur d’un slogan publicitaire ? Comment dire sans dire, montrer sans montrer ? Et comment le décliner sur tous les médias en donnant une unité pour faire comprendre qu’il s’agit du même événement ? Et encore, comment réaliser des communiqués radio satisfaisants sans qu’ils deviennent des spots racoleurs ou créer des annonces presse « impactantes » sans utiliser des mots ou des images fortes ? Bref, comment expliquer le Jour Sans Pub de manière marquante sans faire de la pub ? Et, pire que tout, comment se débarrasser des réflexes professionnels ?

J’ai travaillé sur des budgets lourds ou lights, avec des briefs alambiqués ou inconsistants, pour des clients prestigieux ou pointilleux, mais c’est la première fois dans ma carrière professionnelle que je me trouve confrontée à tant d’interrogations. Putain d’idée ! Pour être une idée nouvelle c’est sûr, elle est nouvelle.

Une création sans création, c’est « mission impossible » sans liberté d’action. C’est effacer 20 ans de métier ou chercher dans les cases de mon cerveau celle qui est restée incontaminée. Cette fois je suis confrontée à un problème qui me dépasse.

Thierry-Olivier n’a pas l’air inquiet : « Pour commencer, tu ne vends aucun produit, donc, forcément, ce n’est pas de la pub. Ensuite, tu as un véritable concept. Il faut juste avoir un fil conducteur pour le décliner sur tous les médias. Tu vas trouver, comme d’habitude. Ce n’est que la panne classique du créatif en phase de démarrage, l’angoisse de la feuille blanche. »

Blanche… Je m’accroche désespérément à son dernier mot. « Oui, c’est ça ! Des affiches blanches et des espaces blancs dans la presse. Un écran blanc à la télé et des blancs à la radio. » Je lui décris avec emphase ce paysage vierge de mots et d’image. Mais plus j’en parle et moins j’en suis convaincue. Qui va comprendre qu’il s’agit d’un jour sans pub ? Le consommateur pourrait même penser que les « colleurs d’affiches » sont en grève. Ou qu’il s’agit de la dernière trouvaille de « Monsieur Propre » ou d’un teasing pour une lessive qui lave encore plus blanc. Non, c’est une idée basique qui ne nous mène nulle part. Ma tête, se serait-elle javellisée ?

Thierry réagit avec sa cohérence habituelle « Non, ce n’est pas une mauvaise idée, faire un blanc dans la pub pour un jour sans pub, c’est intéressant. Mais ça ne marche que pour le print. La radio est un média sonore. La télé puise aussi sa force dans le son. Il est difficile d’attirer l’attention avec des silences. Et, si en plus il n’y a pas d’images… »

Devant cet argument de poids, je me sens plus légère. On a failli s’engager dans une voie sans issue ou plutôt dans une voie de garage. Mais après le flash blanc, c’est le trou noir. Y a-t-il un compromis entre une création publicitaire et une idée élémentaire et stérile ? Mmmm, je sèche, au moins pour l’instant. Malheureusement je n’ai pas le temps d’attendre qu’une petite lumière s’allume dans ma tête. Je veux démarrer le JSP au plus tard dans 4 mois et j’ai tant de choses à faire et tellement de gens à voir…

Et je connais des créatifs bourrés de talent qui seraient ravis de se pencher sur la question…

Je contacte, l’un après l’autre, trois teams créatifs dont j’apprécie l’imagination et le professionnalisme. Ils ont tous conçu des campagnes extraordinaires, ils ne pourront que réagir au quart de tour. Le sujet les excite et ils acceptent tous, sans hésiter. Et ils sortent des magnifiques campagnes de pub qui ressemblent parfaitement à des campagnes de pub.

Quatre semaines plus tard, après brief, debriefs, réunions et discussions, ils pataugent toujours dans la choucroute. Ils finissent par m’avouer que ce n’est pas évident du tout. Ce qui rassure mon orgueil de créative, mais qui me ramène au point de départ. ….

Thierry-Olivier a une nouvelle idée  » »Et Fabien avec cette jeune rédact dont tu m’a parlé ?

Fabien et Charlotte, pourquoi ne pas y avoir pensé ? Laisser s’exprimer des créatifs tout frais et un peu disjonctés, capables de faire parler l’imaginaire sans être pollué par des tics du métier, c’est la meilleure des solutions. Ce sont des jeunes qui vivent leur époque, qui n’ont pas d’idées reçues ni de schémas préconçus, qui comprennent les nouvelles exigences. Tout compte fait, c’est bien à eux que le futur appartient. Eux, ils sauront comment parler au nouveau consommateur parce qu’ils ont les mêmes sentiments et les mêmes réticences et ils pourront réinventer la communication puisqu’ils n’ont pas encore acquis tous les réflexes du métier.
Et moi, je pourrais les guider et les faire rebondir.

C’est parti, je vais mettre ma casquette de directeur de la création, on marie le naturel à l’expérience, la pertinence à l’impertinence, la raison à la passion et on l’aura notre « création sans création »!

POST-IT : Merci à Benoit de Senneville qui nous a envoyé sa création. Pour voir l’œuvre du premier artiste du Jour Sans Pub, cliquez sur l’onglet EXPO.

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14 réflexions au sujet de “Mission impossible”

  1. Je tenais à preciser que moi (:DA penseur:) c’est pas lui. (: olive:). Tu sais, olive, si tu veux un coup de main, ne va pas sur le Forum. Le site de Joe la pompe, c’est supersympa, le Forum c’est le pungiball des creatifs .

  2. Je pense que la solution n’est pas de créer une campagne qui n’aurait pas l’apparance d’une campagne, mais plutôt quelque chose qui dans son essence et de sa propre nature n’a strictement aucun rapport avec la publicité. Je pense à un cadeau, à un geste désintéréssé de tout attente de retour. Pas de l’anti-pub, mais de l’alter-pub. Un message non-ciblé et non-signé, un simple cadeau mais un vrai!

  3. Je suis d’accord avec toi, Fred quand tu parles d’alter-pub. Mais un message pas signé, je trouve que ce n’est pas normale. Nike paye pour toi et tu penses que c’est Adidas. Et ça, ce n’est pas juste, parce qu’il y en a un qui a pensé à toi et l’autre qui s’en fout.

  4. Ton discour est joli, Fred, mais il faudrait descendre un peu sur terre 🙂 Rififi, le seul annonceur qui a osé parler dans ce blog nous l’a expliqué une miserable page de publicité dans un magazine coûte facilement de 10 à 15K€ et pour assurer une couverture et une visibilité décente, il faudrait beaucoup de Kilos d’euros ! Et il ne parlait que de la presse. Si les annonceurs nous payent un jour sans pub, timagines les tonnes d’euros qu’ils vont depenser ! C’est déjà un enorme kdo de nous faire respirer. Et si en plus ils vont nous laisser parler, c’est un deuxieme Kdo. Moi aussi, comme chaton, je veux savoir qui m’a payé ma bouffé d’oxygène et je veux aussi discuter avec lui. Je vais peut-etre decouvrir que c’est un mec bien. mais je suis d’accord avec toi pour l’appeller Alter-pub, c’est top et on comprend bien que le jSP ça n’a rien a voir avec les anti-pub.

  5. Moi, je trouve que alter-pub fait mouvement idéologique dissident (je pense à l’alter-mondialisme) et associe le JSP aux antipub. Mais bravo pour l’idée. C’est difficile de trouver le bon ton et les mots justes. Bon courage à tous les creatifs !!!!

  6. En reponse à chaton gris (10):
    Je trouve paradoxal qu’une campagne de "répit-publicitaire" soit signée par des annonceurs. S’ils participent à un tel projet ce ne devrait pas être dans l’attente d’un coup de pub déguisé, mais bel et bien parce ce qu’ils croient au bien fondé de l’action et de leur participation. Je pense même que l’on touche là un des problèmes majeurs de la publicité, celui de montrer plus que ce que l’on fait, ou pire, faire en fonction de ce que l’on veut montrer. Si l’on veut ensuite, pouvoir ouvrir un dialogue pertinent et honnête sur la publicité, il faut d’abords partir d’une intention intègre, et non détournée à des fins publicitaires.

  7. En reponse à FRED : Je suis peut être plus realiste ou plus cynique que toi, mais je pense que le fin justifie les moyens. Je m’en fous que ce soit un coup de pub deguisé du moment où on me fout la paix pendant 24 heures, on m’écoute, on s’engage dans des actions citoyennes, on intègre des valeurs plus humaines et que la publicité n’abuse plus de son pouvoir. Tu te rends compre de tout ce qu’on a à gagner ? Que chacun y trouve son compte ! On va pas demander à des gens qui doivent produire, de produire de l’esprit humain. Quand on veut trop, on n’obtient rien. Je ne me sens pas manipulée du moment que je connais et accepte les règles du jeu. C’est donnant donnant. La pub n’est pas évitable, on sait. Mais au moins qu’elle soit meilleure !

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